Du désarroi, de l'anarchie et des lettres (un roman inédit de Remy de Gourmont)



Un roman inédit de Remy de Gourmont… c’est une nouvelle, dites-moi, et même s’il ne s’agit pas de son plus grand texte, il n’en reste pas moins qu’il fallait le retrouver parmi les dépouilles papetières du polygraphe et en faire une édition. Le sujet même de ce Désarroi mérite tout l’intérêt que son éditeur Nicolas Malais lui a porté puisque Gourmont aborde là, un peu mi-figue, un peu mi-raisin, le thème de l’anarchie et, comme il se doit, entrevoit le sujet du haut de son organe majeur : le cerveau. Car quel cérébral fut Gourmont ! On ne pourrait pas, à moins d’apprécier le ridicule, lui prêter d’intention violente comme on a pu, en se trompant peut-être, imaginer Victor Barrucand et son comparse Félix Fénéon manipuler des bricoles, des bombinettes ou, plus simplement, des bouts de pétards méchants — simples conjectures, que cela soit bien répété.
Remy de Gourmont, qui attendra encore longtemps ses Oeuvres complètes, reparaît donc avec un écrit qu’il avait repoussé, puis repris et taillé à la serpe pour cause de sentimentalisme sans doute, ou tout simplement parce qu’à une époque où l’anarchie des élites étaient passées de mode. Quoiqu’il en soit, il y a lieu de lire ce petit roman si l’on s’intéresse à la Cause et à ses sectateurs. On avait vu reparaître Avec le feu de Victor Barrucand, on avait lu l’étrange petite texte paradoxal et judicieux de Fernando Pessoa, Le Banquier anarchiste, voici Le Désarroi, reste à l’état de manuscrit en 1899 — et on est admis à se poser cette question : la publication d‘Avec le feu en 1900 coupa-t-elle l’herbe sous le pied de Gourmont ?
Les amis de Remy de Gourmont, dont nous soulignons encore l’excellent site, ont saisi un fragment des plus délectables que nous nous empressons de relayer :

Si des spectateurs se passionnent à des incidents qui nous paraissent d’une damnable mesquinerie, c’est que, pour eux, doués de simples facultés végétatives, ces incidents, tout minuscules, ont l’importance du rare et de l’exceptionnel. Ils sont émus par la dramaturgie baveuse d’un Augier, comme nous par les dialogues philosophiques d’un Ibsen, et les romances de M. Déroulède leur donnent une impression esthétique aussi forte qu’à nous les sonnets de M. Mallarmé. Tout est relatif. Pénétrez-vous de cette vérité. Méprisez les imbéciles, mais ne méprisez pas le plaisir des imbéciles. Les gens, après tout, ne doivent se réaliser que selon leur nature ; on se chatouille avec ce qu’on peut ; on s’enivre de ce qu’on peut : il faut s’enivrer, voilà l’essentiel.

Et pour aller plus loin, comme l’on dit, sur le sujet littéraire, nommons Philippe Oriol, le spécialiste de l’Affaire Dreyfus et patron de la fameuse Collection Noire des éditions Fornax, mais aussi Caroline Granier qui s’est hissée au rang des fortes têtes avec sa thèse, admirable, intitulée “Nous sommes des briseurs de formules”. Cliquez donc, elle est en ligne : chacun pourra se convaincre de ses nombreuses qualités et de son intense intérêt documentaire.
Profitant de l’occasion pour la saluer, le Préfet est heureux de vous transmettre, Nautrices, Nauteurs, l’information suivante : Caroline Granier prépare actuellement un numéro de la revue Brèves consacré aux nouvelles anarchistes.
On brûle de lire ça.

Remy de Gourmont Le Désarroi. Postface de Nicolas Malais. Paris, Le Clown lyrique, 2006, 123 p., 8 €
et toujours

Victor Barrucand Avec le feu. Préface d’E. D. Paris, Phébus, 2005, 204 p., 16, 50 €

Fernando Pesso Le Banquier anarchiste. Traduit du portugais par Françoise Laye. Paris, Christian Bourgois, 2004, 105 p., 14 €

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