Auguste Boncors, empereur improbable

Parmi les plus fameux des fous littéraires, Auguste Boncors (1905-1971) fut, à l’époque de Bernard Grasset, un sacré promoteur de l’autopromotion. Admis de par sa seule volonté à se lauréer des couronnes les plus impériales, il avançait à découvert et savait, autonome tout à fait, servir sa publicité personnelle avec beaucoup d’emphase. Notre auguste Auguste breton récupéra au cours de ses campagnes l’image d’un fou, d’un poétaillon délirant pour le moins.
Ne traçons aucun parallèle avec nos élites, adeptes (comme on sait) de l’autoproclamation, ce serait insultant pour Boncors dont l’oeuvre mérite quelques coups de chapeau. Son plus fervent lecteur, Dominique Poncet, a dit ce qu’il pensait de sa prose fantastique dans La Main de Singe (n° 2), nous vous y renvoyons.
Pour l’heure, c’est la découverte d’une lettre de Boncors dans les souvenirs de Jean Galtier-Boissière, le fondateur et animateur du tonitruant Crapouillot qui le rappelle à notre souvenir.

Rostrenen, le 7 mars 1937

Monsieur le Publiciste,

Je me suis permis de vous transmettre mon effigie en grand, de même que trois aigles symboliques avec, au verso, Le Retour, dont les premières lettres des quatre premiers alexandrins forment le mot sacré d‘“Iéna”.
Les secondes Odes triomphales, dont je suis l’auteur pindarique, constituent une extraordinaire fantaisie de 1.200 pages, en 3 tomes, où grondent, où détonnent, où éclatent 1.800 hexamètres intervalés, d’un pôle à l’autre de l’ouvrage grandiose, par 600 pages d’une prose non moins étincelante.
Deux épopées composent la merveille : L’épopée impériale (5.000 alexandrins) et la Fantasia infernale (5.000 hexamètres sur la vie tumultueuse et royale de Pluton-Aidoneus). Il nous reste encore 8.000 alexandrins où le poète, emporté sur le quadrige d’une imagination ailée sensationnelle, bondit jusqu’au zénith de l’émotion la plus suave du monde, qu’il communique à tous. Loin des excitations malheureuses, et des défections élégiaques s’emparant de beaucoup — et presque toujours des meilleurs — au sein des métropoles, le poète-né, l’orphelin de génie sauveur du lyrisme contemporain, qui vous écrit, loin de tout ce qui était susceptible d’en contrecarrer l’essor de la puissance heuristique majestueuse, l’auteur (qui a trente-deux ans) des secondes Odes triomphales a conçu le monument littéraire incomparablement absolu et grandiose qui doit faire de lui, demain, le plus grand poète du monde. Lorsque Paris apprendra la nouvelle d’une création d’une oeuvre aussi gigantesque, l’émotion y sera énorme ! On ne s’y attend pas : c’est trop grand, trop éblouissant sans doute de rencontrer une production littéraire résurrectionnelle qui soit, en des langues encore si manifestement dignes du grand Corneille, de Racine et de V. Hugo, à une époque essentiellement matérialiste, où l’argent avec la monstrueuse cohorte des jouissances vulgaires les plus sordides, l’emportent sur les sentiments de grandeur et d’abnégation sublime pour le beau qui animaient si merveilleusement les pairs dont j’ai lieu, aujourd’hui, de me réclamer, pour la plus grande gloire de la littérature française adorée.
Le prix de l’ouvrage complet sera de 120 francs. C’est une oeuvre pompeuse et aristocratique par excellence. Il serait juste que le peuple français attende la parution d’une semblable rénovation triomphale avec la même impatience qu’anima la Rome antique au sujet de l‘Enéide de mon si doux et si harmonieux maître Virgile.
Nous comptons sur des hommes de talent comme vous pour l’annonciation fabuleuse, aux légions d’intellectuels qui peuplent la France, de l’exécution enthousiasmante et providentielle de secondes Odes triomphales.
Veuillez croire, monsieur le Publiciste, à ma profonde et indéfectible vénération poétique.

Le poète auteur des secondes Odes triomphales.

Auguste BONCORS.



Source : Jean Galtier-Boissière, “Le Panier de crabes. Souvenirs d’un polémiste (1915-1938)”. Le Crapouillot, novembre 1938, p. 51.

Outre l’orgueil, le seul tort d’Auguste Boncors fut peut-être de croire qu’à Paris, et dans les “milieux” informés, l’émotion pouvait être “énorme”.

Pour en savoir plus :
Le Matricule des anges
Jean-Paul GOUJON, « Auguste Boncors ou De l’avis de tous, je réincarne Lautréamont », in Coll. Les fous littéraires : dernières nouvelles. Actes du sixième colloque des Invalides (29 novembre 2002). – Tusson, Du Lérot, 2003, pp. 57-75.
Dominique Poncet et votre serviteur (”La Main de Singe”, n° 2)

et, évidemment :
André BLAVIER Les Fous littéraires. — Paris, Editions des Cendres, 2001.

Et puis aussi : Jean Paulhan (éd.) “Le Tableau de la Poésie en France, anthologie”, in Nouvelle Revue française (n° 241 et 242, 1er octobre et 1er novembre 1933).
Camille Bryen et Alain Gheerbrant, Anthologie de la poésie naturelle. — Paris, K, 1949.
Collectif « Les fous littéraires », Bizarre, avril 1946, pp. 133-134.

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