Francis de Miomandre


Il y a tout juste dix ans, le Préfet maritime rééditait dans la collection L'Alambic, et avec beaucoup de plaisir, Mon Caméléon de Francis de Miomandre, un écrivain qui nous enchante toujours, et toujours plus.
La récente acquisition du Catalogue de la bibliothèque de Francis de Miomandre, qui fut vendue à Drouot les 3 et 4 décembre 1934, alors que l'écrivain-traducteur-critique organisait sa nouvelle vie en Espagne nous a remis au coeur le souci d'évoquer et son immense grâce et ses non moins importants talents. Des qualités qui lui valaient — s'y attendait-on ? — l'admiration du jeune Antonin Artaud, Marseillais lui-même, comme en témoigne cette paire de notice.


Où l'on peut lire :

à francis de Miomandre/ hommage d'une admiration/ déjà vieille/ dans la pensée qu'il y/ pourra retrouver un peu/ de cet amour pour la/ partie chimérique des/ choses, qui est un des/ plus précieux ornements de/ son esprit/ Antonin Artaud./ Paris, le 29 mai 1923

Ou encore :

à Francis de Miomandre/ en souvenir/ du Théâtre perdu./ Antonin Artaud.

S'il faut donner quelque détail, précisons que Francis de Miomandre, lecteur et critique fut l'un des tout premiers, si ce n'est le premier, à voir et à deviner les écrivains à venir, de la même manière que son vieux compère Edmond Jaloux. Aussi doit-on à de Miomandre la révélation de Claudel, de Suarès, de Gide de Valéry, de Giraudoux, et même de Proust. Mais on ne s'en est guère souvenu jusqu'ici, non plus qu'il défendait du bec et des ongles l'oeuvre de Remy de Gourmont... qui le déclare à l'occasion son "seul lecteur".


Afin de redorer le blason de cet homme adorable, voici, ci-dessous, le texte du Préfet maritime qui concluait la réédition de 1997 sus-dite, désormais difficile d'accès, sinon pilonnée. Perte bien regrettable puisqu'il y donnait un ensemble de lettres de Francis de Miomandre à son éditeur relatives à la publication de l'édition originale de son livre... Ne nous manquait à vrai dire dans ce volume qu'une prière d'insérer, celle que vient de nous faire parvenir Fabrice Lefaix, merci la toile.


Miomandre l’enchanteur

Lorsque paraît Mon Caméléon en 1938, Francis de Miomandre aborde un sujet à peu près inédit. Largement ignoré par le public — et si l’on en croit l’auteur par les naturalistes eux-mêmes qui ont d’autres chats à fouetter —, le petit reptile a des caractéristiques qui méritent un développement. La littérature avait d’ailleurs déjà célébré les fastes de cet animal merveilleux sans pour autant lui faire plus que l’hommage d’un titre. Alexandre Mercereau lance dans les années 1920 un « salon littéraire », Le Caméléon, dans un café situé à l’angle du boulevard Montparnasse et de la rue Campagne-Denain et Maurice Fourré créé un Caméléon mystique, mais les deux écrivains ne suivaient qu’un motif, sans chercher la petite bête ni le détail observé au contact du mirifique animal.
Tel que nous le livre Francis de Miomandre, le caméléon est un être discret qui a trompé son monde. La faute aux voyageurs occidentaux qui ont su déployer des trésors d’imagination pour magnifier leurs découvertes et charmer leurs auditoires de fadaises exotiques. En fait, l’animal ne déploie qu’à de rares occasions ses facultés chromatiques et il faut être resté un enfant pour croire que celles-ci lui permettent de se camoufler sur un tartan. Un beau rêve tout de même. Et Miomandre lui enlèverait sa magie ? C’est mal le connaître. Son livre-hommage montre au contraire quel alchimiste il est, capable de nous faire le tableau drôle, touchant et véridique de sa relation avec Séti le parisien. Etymologiquement, le caméléon est un “Lion de terre”. On s’explique mal que Borgès l’ait exclu du Livre des êtres imaginaires. S’il consacre un chapitre à la salamandre — qu’a-t-elle de plus merveilleux que le caméléon ? —, le paon-reptile et sa langue sol-air possède aussi son mystère. Au fond, seul Francis de Miomandre pouvait se porter à la défense de l’animal de compagnie qu’il entretient dans une « fraternité de sang et d’esprit ».
Miomandre a cinquante ans lorsque Mon Caméléon paraît chez Albin Michel en 1938 dans le cadre de la collection “La Vie des Bêtes”. Il a cette particularité rare de posséder un spécimen de l’animal africain. Celui-ci est même une célébrité dans le monde des Lettres et des potins. A tel point que la réception du livre est des plus empathiques. Témoin cet article du redouté libraire Max-Philippe Delatte dans la troisième livraison de sa revue Critique 38 de juillet 1938 :

Le homard de Gérard de Nerval est passé à la postérité, comme le chat de Mallarmé ou celui d'Henri Rochefort, comme y passeront aussi le poisson rouge de Tristan Derême et, dernier venu à la connaissance du grand public, le caméléon de Francis de Miomandre. D'éminents de notre temps, de Paul Valéry à André Gide et à Edmond Jaloux, connurent cet étrange et mystérieux animal que son maître appelait Séti Ier et qui vient de lui inspirer un livre magnifique et délicieux : Mon Caméléon. Séti Ier a partagé pendant trois ans la vie de M. et Mme de Miomandre; il les connaissait fort bien et avait pour eux de l'affection et de la reconnaissance : M. Edmond Jaloux a tenu à nous en donner le témoignage : "Pour moi, dit-il, qui ai regardé vivre cet admirable animal, rien de ce qu'il (M. de Miomandre) dit n'est exagéré." C'est en effet que la plupart des anecdotes rapportées par M. de Miomandre sembleront invraisemblables à qui n'a jamais eu de caméléon en liberté chez lui. Pour moi, elle ne m'ont pas surpris, mon père m'ayant souvent parlé de celui qu'il éleva pendant plusieurs année et qui n'aimait rien tant que de se percher tout au haut des grands rideaux des fenêtres afin de regarder tranquillement et sans bouger ma grand'mère le chercher et l'appeler dans tout l'appartement. Mon Caméléon est à la fois une étude zoologique extrêmement attentive et sérieuse et l'oeuvre émouvante et sensible d'une grand écrivain qui est aussi un délicat poète : les pages qu'il consacre à la mort de Séti Ier sont parmi les plus admirables de l'auteur d'Ecrit sur de l'eau ("Histoires de bêtes", pp. 15-16).

Comme l’indique la correspondance qu’il échange avec son éditeur — Miomandre bien sûr, le caméléon n’ayant jamais manifesté la moindre velléité en ce domaine —, le volume est envisagé dès le premier semestre 1937, probablement rédigé durant le deuxième trimestre de l’année pour être remis à l’éditeur le 15 octobre. Il est achevé d’imprimer par Emmanuel Grevin et fils (Lagny-sur-Marne) le 25 mars 1938. Sa diffusion commence le mois suivant. Ce n’est pas la première fois que Miomandre fait l’éloge de son caméléon. En 1927 déjà, les éditions Emile-Paul Frères publiaient une double plaquette de luxe aux frais d’Armand Godoy (2) qui joignait son poème à celui du propriétaire de Séti. Caméléon est une brochure rarissime — tirée à 253 exemplaires le premier octobre 1927 par Louis Kaldor. Elle contient des poèmes de Miomandre qui seront repris en 1931 dans la première édition du recueil Samsara.
A une époque où l’exotisme est un thème en vogue, celui de Miomandre s’attache à un petit reptile élégant dont il se fait le sociologue, l’éthologue et le mémorialiste. Alors que Jean Ajalbert, Pierre Loti, Victor Segalen et Claude Farrère font carrière dans le roman colonial — un genre qui marque la littérature française du premier tiers du siècle —, Miomandre parcourt les chemins de traverse de la littérature et s’isole dans son home avec une maisonnée hétéroclite. Une véritable ménagerie. Il est l’écrivain qui a le plus représenté d’animaux dans son œuvre, et de tous poils : un ornithorynque “préatlantéen” apparaît dans le roman Baroque, la tortue inspire Gazelle (1910), le Portrait de Sada (1926) est celui d’un petit singe, Otarie (1933) décrit les amours de l’engeance éponyme... jusqu’au titre de certains de ses livres que Miomandre attribue au règne animal : Le Raton laveur et le maître d’hôtel (1944), L’Âne de Buridan (1946), Les Taupes (1922), Le Veau d'or et la vache enragée (1917). Sa bibliographie est un bestiaire émaillé d’images inouïes où nichent « Des havanes craquants comme le ventre des cigales (3) ».
Poète, romancier, essayiste, auteur dramatique et nouvelliste — on peut ajouter moraliste et philosophe — et à ses heures chroniqueur, Francis de Miomandre réunit sur son nom une belle unanimité. Quels que soient le dictionnaire ou l’histoire de la littéraire que l’on ouvre les avis sur son œuvre sont toujours concordants. La façon particulière de ses créations marquées par ses dons de fantaisistes, d’observateur et de styliste lui vaut une sérieuse réputation. Faut-il traiter ce dernier verbe à l’imparfait ? Depuis sa disparition le premier août 1959 à Saint-Quay-Portrieux (Côtes-du-Nord), un seul volume posthume a paru. Ses ouvrages ne sont pas réédités. Cet abandon — passager — réclamerait une explication si la gestion des postérités était une science exacte. Puisqu’elle ne l’est pas, il faut croire que le caractère léger et fantasque de ses œuvres, leur dispersion capricieuse et leur inscription dans une belle tradition d’élégance l’a fait rangé parmi les écrivains caduques. Une erreur d’aiguillage, vous l’admettrez.
Sa carrière littéraire a débuté sous le signe de la chance lorsque son cinquième livre, Ecrit sur de l’eau obtient le prix Goncourt en 1908. Certes, remporter la distinction après John-Antoine Nau, Léon Frapié, Claude Farrère, les frères Tharaud et Emile Moselly n’est pas encore synonyme de fortune. Le prix n’a pas la renommée que nous lui connaissons. Il ne représente ni pour l’auteur ni pour l’éditeur des mille et des cents (4), mais le décrocher c’est conquérir l’estime de ses pairs. Francis de Miomandre a le pied à l’étrier.
Comme l’a écrit Jules Renard dans son Journal, la lutte pour le sixième prix Goncourt a été serrée. Il a fallu aux huit jurés Goncourt présents (5) trois tours de scrutin pour distinguer leur lauréat. Les candidats étaient quatre : Miomandre dont, se remémora Léon Deffoux, « Elémir Bourges présenta, par réaction dit-on contre la tendance naturaliste de ses collègues un essai brillant et fantaisiste où jouent agréablement les influences de Jules Laforgue et de Jean de Tinan (6) », Le Jeune Rouvre d’Amédée Rouquès (Ollendorff, 1909) (7), L’Enfer de Barbusse et Monsieur le principal de Jean Viollis (8) (Calmann-Lévy, 1908). Le 4 novembre a lieu le premier tour, Renard remarque que « Bourges parle de Miomandre. » Celui-ci ne recueille cependant qu’une seule voix tandis Viollis en a quatre. Lors du dîner Goncourt suivant qui a lieu le 26 novembre, l’auteur de Poil de Carotte note « D’abord tout va bien pour Viollis. Puis on passe à Miomandre ». A l’heure du café, ils sont à égalité, cinq voix chacun. Finalement le dernier tour a lieu le 4 décembre au Café de Paris :

« Je vois tout de suite, dit Jules Renard, que nous serons quatre pour Viollis : Léon Daudet, Mirbeau qui vote par lettre, au premier tour, pour un riche amateur, et, au second pour Viollis, Geffroy et moi. Si Rosny jeune votait au seconde tour pour Viollis comme me l’avait affirmé Léon Blum, il déterminerait sans doute son frère ; mais il vote pour Miomandre, et c’est son frère qui vote au deuxième tour pour Viollis et revient d’ailleurs, au troisième, à Miomandre. (...)
Et on recommence, mais pour la forme. Rosny, considérant le vote pour acquis, vote pour Miomandre, qui a six voix contre quatre à Viollis. (9) »

Les jeux n’étaient donc pas faits. L’excès de confiance d’un juré a rendu le nom de Francis de Miomandre indissociable du mot Littérature. Ce soir du 3 décembre 1908, le jeune homme attend au café Weber le résultat de la confrontation. Sitôt le résultat promulgué, son protecteur Elémir Bourges le rejoint. Il « l’embrassa, lui remit la lettre officielle puis l’avisa que ses collègues avaient décidé d’inviter chaque année le lauréat au dîner du mois suivant.(10) »

« Monsieur et cher Confrère, Nous avons l’honneur et le plaisir de vous faire savoir que dans sa réunion de ce soir, l’Académie Goncourt a attribué son prix annuel à votre livre : Ecrit sur de l’eau... Veuillez agréer, Monsieur et cher Confrère, l’expression de nos meilleurs sentiments. Léon Hennique. J.-H. Rosny jeune. J.-H. Rosny aîné. Lucien Descaves. Léon Daudet. Jules Renard. Elémir Bourges. Gustave Geffroy. En marge : Pour MM. Octave Mirbeau et Paul Margueritte, votants, mais absents. Le Président : Léon Hennique.(11) ».

« Pour tromper mon impatience, dira-t-il plus tard, je buvais un porto en lisant un numéro de La Vie Parisienne. Je me souviens même que c’était un article sur le monocle. Mais il n’était pas encore de moi ! (12) »

Le déjeuner prévu a lieu le 27 janvier 1909 en présence de Hennique, Descaves, Geffroy, Renard, Daudet et Rosny aîné qui mène la conversation sur le sujet de la mort. Quelques années plus tard, Miomandre donne son impression de cette soirée :

« C’était un de ces dîners merveilleux d’avant-guerre où un honnête homme pouvait encore se permettre d’être gastronome et que les reproches à la fois affectueux et amers de Jules Renard ne parvinrent pas à assombrir pour moi. Renard ne pouvait se faire à l’idée qu’un jeune homme gagnât d’un coup cinq mille francs avec un livre. Comme cette attribution du prix était inattendue et que personne n’avait lu le livre qui avait été tiré à cinq cents exemplaires aux éditions de la revue Le Feu de Marseille, les articles que la critique lui consacra furent d’une fantaisie désarmante. Le Temps, entre autres, affirma gravement qu’il s’agissait d’une étude de mœurs sur les grands paquebots ! (13) »

Francis de Miomandre est né le 22 mai 1880 à Tours sous l’état-civil de François-Félicien Durand. Dès 1888, ses parents s’installent à Marseille où il suit ses études au collège jésuite Saint-Ignace. Après le baccalauréat, entre 1898 et 1900, il se mêle à un groupe qui s’occupe de littérature et flâne en devisant dans le parc Borély. Edmond Jaloux (14) et Augusto Gilbert de Voisins (15), Albert Erlande (16) et Théodore Lascaris (17) ont fondé en 1894 une petite publication : la Revue Méditerranéenne à laquelle Miomandre — il a pris en littérature le nom de sa mère — donne ses premiers écrits déjà marqués par une verve, une drôlerie et un esprit qui le démarquent. En 1900, il fait la rencontre de Camille Mauclair (18) venu se reposer en face de la Méditerranée. Le courant passe entre les deux hommes. Mauclair a besoin d’un secrétaire, il emmène Miomandre à Saint-Leu-la-Forêt. « C’est lui qui me “parisianisa” » dit Miomandre en évoquant son « grand patron » (19). Chez ce dernier il rencontre Paul Claudel auquel Mauclair et son disciple font l’hommage d’une représentation de Tête d’or dans leur théâtre de marionnettes. C’est la première représentation de cette pièce (20). C’est aussi la première mise en scène d’un texte de Claudel auquel Miomandre voue une grande admiration. Ils se verront par la suite souvent chez Philippe Berthelot ou à Francfort quand l’auteur des Souliers de Satin y sera nommé consul.
Le débutant se fait une place dans le monde des Lettres. Son premier livre paraît en 1904, ce sont Les Reflets et les souvenirs tiré à deux cent vingt exemplaires. Il collabore au Mercure de France, à la brugeoise Antée, à L’Occident d’Adrien Mithouard qui lui ouvre ses sommaires auprès de Fagus et d’Eugène Marsan. Avec Mauclair, il participe à l’édition des œuvres complètes de Laforgue pour le compte du Mercure de France. Cette expérience se réitère en 1916 lorsque leur ami commun le traducteur et auteur dramatique Robert d’Humières tué le 30 avril 1915 sur le front leur confie par testament l’édition ses œuvres (21). Il est ensuite marchand de tableaux pour la galerie Bernheim alors dirigée par Félix Fénéon (22) qui l’emploie par la suite comme secrétaire. De fil en aiguille, il entre à L’Art et les artistes, une revue dirigée par Armand Dayot pour lequel il remplie la fonction de secrétaire de rédaction jusqu’en 1912. Une belle occasion de renouer avec Rodin qu’il visite à Meudon.
Si l’on en juge par les échos de l’époque et les commentaires sur son œuvre, Miomandre fait l’unanimité. L’homme est un dandy sans doute mais il est délicat. Il attire la sympathie. Par ailleurs, il est un critique écouté et les amitiés qu’il noue sont nombreuses : Edmond Jaloux au premier chef, complice de la première heure à qui il dédie Les Taupes. La liste des personnages prestigieux qu’il côtoie illustre d’ailleurs la position centrale qui lui est dévolue, une liste qui fait rêver . On y trouve André Suarès à qui il sert ses ouvrages dédicacés d’un « Petit Mi », Jean Cocteau qui le surnomme « L’Ami Omandre », Supervielle dédicataire des poèmes de Samsara, Fénéon du roman Portes et Fargue des Jardins de Marguilène, Claudel encore, Maurice Beaubourg, Léonor Fini, Remy de Gourmont, Tristan Klingsor, Debussy, Paul Valéry, Max Elskamp, Valéry Larbaud. On sait qu’il fréquente aussi Willy, Léon Deffoux, Renée Dunan et Pierre Mac Orlan, Maurice Martin du Gard, Léon Treich et Natalie Clifford-Barney (23), sans oublier O.W. Milosz à qui il fait l’hommage de La Cabane d’amour (1917).
Conforté par l’obtention du prix Goncourt et le succès de ses livres suivants, Miomandre quitte un emploi salarié trop prenant pour se consacrer à la littérature. Sur ce sujet, il confie à Léautaud qu’il s’est jeté à la nage. Et d’ajouter « A aucune époque les écrivains n’ont été moins libres (24) ». Pour cause, Miomandre est un forçat de l’écriture, une plume pléthorique : on recense plusieurs milliers de ses articles rédigés pour plus de deux cents journaux, magazines et revues (25). En fait, c’est son principal gagne-pain. En dehors de collaborations occasionnelles aux Marges, à la NRF, au Manuscrit autographe ou aux Cahiers du Sud, il tient des chroniques régulières aux Nouvelles littéraires à partir de 1922 — une collaboration qui ne cesse qu’à sa mort en 1959 — à L’Europe nouvelle qui lui confie sa critique littéraire en mai 1926, à Information à l’étranger de 1947 à 1959. Ses premiers essais critiques rédigés au cours des années 1900 à 1906 sont réunies dès 1907 dans le recueil Visages qu’un nouveau volume vient compléter quatre ans plus tard, Figures d’hier et d’aujourd’hui.
Critique en devenir, il saisit rapidement les œuvres essentielles : ainsi de Milosz (26) dont il devient le premier supporter et l’ami. Dès la parution des Poèmes des décadences (1899), le premier livre du poète polonais, il décèle « une sûreté du rythme surprenante pour un volume de début, et tous les dons d’un véritable poète (27). » L’avenir, sa culture et la sûreté de son jugement lui ont donné raison. Miomandre fait preuve d’un grand sens de la littérature que soulignent encore les chercheurs contemporains qui relèvent ici un article perspicace sur Jean Lorrain, là une belle page sur Remy de Gourmont. Preuve encore de ses capacités, Gide lui adresse en 1912 une lettre de félicitations pour un article de La Gazette de Lausanne où il évoque Mme de Ségur. Mieux, il prend le 1er janvier 1933 la défense de Céline et du Voyage au bout de la nuit dans un article de Fantasio intitulé « La Peur des gros mots » (28) où il déplore « La majestueuse imbécillité des chroniqueurs des grands journaux — et des petits aussi, hélas ! (…) Car enfin nous parlons tous comme le héros de Voyage au bout de la nuit, quand nous sommes entre hommes, reconnaissons-le sans hypocrisie. » On a trop fait le reproche à cet habitant de l’avenue Mozart (XVIe arrondissement) de sa préciosité pour ne pas souligner qu’il fait preuve ici d’une grande franchise en même temps que de nez.
Dans le même temps, Francis de Miomandre devient l’un des grands traducteurs de l’espagnol. Dès 1918 il propose des pages choisies de José Enrique Rodo et aborde les délicats XXIV Sonnets de Gongora. Viennent ensuite des livres de Miguel de Unamuno, Ventura Garcia Calderon, Horacio Quiroga, Benito Perez Galdos, Miguel Angel Asturias, Enrique Rodriguez Larreta, du vicomte Lascano-Tegui (29), Eugenio d’Ors, Lydia Cabrera, Joaquin Maria Machado de Assis, José Marti... et une version de Don Quichotte de la Manche qui n’emporte malheureusement pas le succès escompté. Ce sont près de cinquante romans, essais et recueils au nombre desquelles on compte plusieurs chefs-d’œuvre. Il appartient à cette génération de traducteurs — Marcelle Auclair, Georges Pillement et Jean Cassou — qui a introduit la littérature espagnole et latino-américaine en France et préparé le terrain à Roger Caillois, Claude Couffon ou Laure Bataillon. La réciproque est vraie aussi : s’il est rédacteur de la rubrique des « Lettres ibériques » pour Hommes et Mondes entre 1946 et 1956, il est également présent au sommaire d’une multitude de revues latino-américaines qui lui permettent de faire la promotion des lettres françaises. Tête de pont des auteurs français en Amérique du Sud, il est le pivot de deux cultures.
Une telle débauche d’activité suggère cette question : comment pouvait-il combiner ses travaux de critique, de traducteur et son œuvre personnelle ? C’est là que les connaissances précises font défaut. Il faudrait creuser la question Miomandre pour découvrir quel homme il était derrière cette œuvre colossale. On sait grâce à Claude Couffon que Miomandre consacrait chaque matinée à la traduction de dix pages... Ce qui laisse les après-midi à la critique et la soirée aux créations, ou l’inverse. Or, en excluant rééditions, ouvrages collectifs et préfaces sa propre bibliographie ne compte pas moins de cent ouvrages. On peut dès lors s’étonner que ses livres soient si délicats et sereins. Certains historiens de la choses littéraires ont parlé d’inégalité pour n’être pas taxés de naïveté — on peut l’admettre car les plus grands ont des pages médiocres — mais tous, sans exception, reconnaissent la beauté de sa langue, son phrasé clair et aisé, sa gaieté, ses pitreries de jeune homme, son charme en un mot.
A son propos on a évoqué la fluidité d’un Verlaine, le raffinement des symbolistes, l’aisance de Nodier ou de Gobineau. Ses écrits qui ont pris la forme de romans et de nouvelles ont revêtu une véritable élégance. Avec une touche de malice et de légèreté, elle réclame aujourd’hui ses lecteurs qui ne s’étourdissent pas des seuls volumes d’Ecrit sur de l’eau ou du Veau d’or et la vache enragée — ces titres les plus fameux — au préjudice du romantisme de Primevère et l’ange, des constructions de Baroque qui porte bien son titre. Sans négliger les âpretés de L’Amour de mademoiselle Duverrier qui rappelle Thomas Hardy ou La Bonbonnière d’or qui se paie la fiole des romans policiers. Et puis Miomandre excelle aussi dans la chronique rédigée au fil de la plume. Ce sont des promenades nonchalantes, des méditations de moraliste solitaire qui ne se départissent jamais de leur part capricieuse. Les Voyages d’un sédentaire qui manifestent le souci d’introspection et d’analyse ne peuvent voiler l’ironie qu’ils portent sur le monde. Leur auteur n’admet-il pas que ce livre est « un modèle du genre décousu » ?
Comme le remarque André Billy dans la Littérature française contemporaine (30) ses personnages sont de doux lunatiques, des bohèmes, des amoureux ahuris, des hommes d’affaires chimériques qui produisent « un mélange de comédie italienne, de Dickens et de Murger », épicé d'un peu de cette folie douce que l'on retrouve chez les hétéroclites chers à Raymond Queneau et à André Blavier. Aérien, Miomandre sait peindre un être sans le dénaturer, le rendre vivant sans en faire un automate. « J’ai toujours essayé de concilier ces deux tendances de mon esprit, l’une réaliste et mélancolique, l’autre joyeuse et libérée (…) une sorte de fusion entre le lyrisme et l’humour » (31). Voilà son charme. Quant à son succès, il le doit probablement à sa marginalité qui en retour lui vaut une longue traversée du désert.

« La grande malice, voyez-vous, c’est de ne pas faire de théorie parce que si les autres suivaient vos théories, il n’y aurait plus aucune originalité. On est esclave dans une théorie ; on y reste toute la vie. Quelle mélancolie j’éprouve devant ceux qui crèvent dans leurs théorie (...) Ce que j’en ai vu depuis le symbolisme ! (32) ».

Peu lui chaud en effet puisqu’il reçoit en mars 1950 le prix de la Société des Gens de Lettres pour l’ensemble de son œuvre. Même si cela ne suffira pas, on le voit, à préserver des mauvais tours de la postérité.
Lorsqu’on évoque Miomandre aujourd’hui c’est avec sur la langue les mots snob, dandy ou mondain. Tous sont exacts mais ils ne justifient pas l’ignorance où on le tient. Brummel, Proust, Morand pourraient subir le même camouflet. Snob : dans sa lettre-préface aux Voyages d’un sédentaire, l’auteur admet « une once de snobisme ». Dandy : il le fut dit-il un dandy « résolument beardsleyien (33) ». Il a vécu rue La Bruyère dans une mer de dentelles et de voiles blancs. Sa collection de pantins et de marionnettes est célèbre. Ceux-ci qu’il nomme ses “petits amis” lui sont offerts par Jaloux et Larbaud quand il ne s’agit pas des cocottes en papiers pliées par Migue de Unamuno lui-même... Quant à sa vie mondaine, elle est bien remplie. Dans les années dix, il fonde le Club Peacock — paon en anglais : faut-il y voir un clin d’œil au Pickwick Club de Dickens ? — avec trois jeunes femmes belges, ses parfaites « sœurs en fantaisie » (Ed. Jaloux). C’est une société secrète au second degré, une plaisanterie dont on peut penser que le jeu fut consciencieusement réglé. Miomandre fréquente les casinos et en trace la topographie pour la collection des « Guides utiles à ceux qui veulent vivre la belle vie ». Devrait-il se priver ? Il est jeune, capable de danser toute la nuit — mais quand travaille-t-il ? — au Grand Ecart, dans les cabarets russes, au Bœuf sur le toit où Léon-Paul Fargue corrige les épreuves de Commerce. Notre auteur traverse en philosophe amusé les fumées et vapeurs des Roaring Twenties.
Ce qu’on ne lui pardonne pas au fond, ce sont ses appartements des quartiers chics, ses bestioles incroyables et ses poupées. Car cet homme qui est l’ami de tous, et l’ami respecté, n’est mondain qu’avec cette grâce, cette élégance et cette bonhomie que seuls manifestent les gens sans orgueil. En 1909, le lapidaire Jules Renard avait consigné :

« Très jeune, vingt-sept ans, un petit mousquetaire, un gosse avec de l’aplomb, bien décidé à ne pas avoir l’air gauche, quoiqu’il arrive. (34) »

Gide non plus n’avait pas une bonne impression :

« Malheureusement Miomandre est là ; non point déplaisant — au contraire — mais un peu jeune, un peu verveux. (35) ».

Le voilà Miomandre, sémillant, léger, bien habillé, aimable. Pour le poète espagnol J. M. Lopez Pico, Miomandre est

« Un homme de conviction qui sait en jouer comme avec le bâton de sa canne. Il sourit sous son chapeau de paille et quelquefois, distrait, oublie sa canne au café. (36) »

Il lui faut en tout cas d’appréciables qualités humaines pour séduire un philanthrope comme Paul Léautaud. Le secrétaire du Mercure de France prend cette note exceptionnelle dans son Journal :

« il est charmant, joli visage, expressif, d’un joli ton, avec de beaux yeux, charmante façon de se vêtir, originale juste ce qu’il faut, pleine de goût. (37) »

Ses rapport avec Léautaud, faut-il le dire, furent excellents. Entamés sous de mauvais auspices (38), l’amour de Miomandre pour les animaux font de l’auteur du Petit Ami un admirateur qui interdit au critique Auriant, parfois terrible, de dire du mal de son protégé : « Ne dites jamais un mot désagréable sur lui. (39) ». La fraternisation eut lieu le lundi 10 octobre 1927 lorsque à la librairie du Mercure de France, Miomandre félicite Léautaud pour ses écrits animaliers (40). Onze jours plus tard, ce dernier note encore :

« Ce matin au Mercure, Miomandre. Il me raconte une histoire délicieuse d’un scarabée, soigné par sa femme et libéré de je ne sais quelle vermine attachée à lui et revenant le lendemain avec d’autres scarabées également atteints. »

Les voilà tout deux à leur affaire. Miomandre a touché la corde sensible et Léautaud de s’exclamer :

« Miomandre est un être délicieux, fin, tendre, généreux, simple, extrêmement séduisant. (41) ». Et Léautaud n’en démord plus : « Quel être charmant, fin, sensible, séduisant qui ( ?) et mérite la plus vive sympathie. Simple avec cela, si modeste sur son propre compte. »

Jusqu’à ce geste de Miomandre :

« “Léautaud, je vais vous faire un cadeau. Un petit morceau de peau de caméléon. Vous savez, mon pauvre petit caméléon. Chaque fois qu’il muait, je lui enlevais délicatement la peau. Il paraît que cela porte bonheur. Mais si. Je vous assure. Moi-même, pendant trois ans, j’ai gagné de l’argent comme je n’en avais jamais gagné dans ma vie. (42) »

S’il trouve grâce aux yeux terriblement perçants de Léautaud, il ne parvient pas à tromper le bon abbé Louis Bethléem qui s’est emparé de la tradition en s’érigeant censeur des Lettres (43). Nous ne manquons pas le plaisir de citer longuement son admirable — et authentique — notice tant elle recèle d’humour involontaire. Son avis sur notre « romancier fantaisiste, poète et rêveur », le voici :

« L’Histoire de Pierre Pons, pantin de feutre est le seul de ses ouvrages qui soit d’une irréprochable correction.

Les Autres : Ecrit sur de l’eau ; Du vent et de la poussière ; D’amour et d’eau fraîche ; L’Ingénu ; Au bon soleil, sont mièvres, langoureux, dissolvants ; ils excellent, dit Ernest-Charles (44), à faire sentir ce vague à l’âme qu’éprouvent beaucoup de femmes et qui est si fertile en drames. L’Aventure de Thérèse Beauchamps est à cet égard caractéristique et très pernicieux ; c’est l’histoire d’une Madame Bovary des Batignolles. Les suivants, plus récents, plongent davantage encore dans l’horreur (45) : Ces petits Messieurs (ignoble) ; Les Taupes (vieilles filles aigries ; inspiration anticléricale) ; Les Miracles de l’argent (arrière-goût de blasphème) ; Le Greluchon sentimental (immoral) ; La Naufragée (adultère) »


Francis de Miomandre est donc à proscrire « en vertu de la morale chrétienne ». Mais quel promoteur fait cet abbé ! Notez qu’il classe Miomandre tout près de Mirbeau (« Ecrivain malpropre et sectaire écœurant ») et de Marcel Schwob — comme s’il fallait redoubler d’arguments... En publiant la Revue méditerranéenne, les trois jeunes Marseillais déclaraient un « goût exclusif d’une vie féerique (46) » que l’auteur de Mon caméléon n’a jamais renié. « Je resterai au milieu de mes nuages » pronostique-t-il dans Les Voyages d’un sédentaire. Comme Fargue et Carco, il est fantaisiste, il rend la vie aimable, il n’exclut pas les petites choses des grands sujets. Qui d’autre avant lui a fait l’éloge du papier peint, des dancings ou du café au lait ? Ces plaisirs minuscules récemment exhumés — mais que l'on compare ! — Et c’est cette touche décalée qui le rend justement inoubliable. Sur le fil de l’attendrissement, il frôle le ridicule, se redresse et lance de ces traits qui valent la plus frappante image surréaliste :

« Je me rappelle Nijinski. Il me fit penser à un ange muré dans un tuyau d’usine. J’en aurais pleuré (47). »

Comme l’a écrit Albert Erlande à propos du Greluchon Sentimental, « Nul ne fait sentir comme Miomandre ce qu’est l’esprit. L’esprit qui scrute, analyse, juge, fustige... et s’entend aussi à divertir et à faire rire... L’Esprit qui rend, en outre, sa phrase fluide, nombreuse, avivée d’images, et toujours d’une langue sans défaut (48) ».
Miomandre était capable de s’adresser avec « affection et admiration » (49) ses propres livres, capable d’envoyer La Bonbonnière d’or à « André Suarès (…) pour l’amuser une heure et sans autre dessein plus haut (50) », capable enfin de flétrir ses « pauvres petites histoires frivoles ». Coquetterie ou pied-de-nez, Rosny voit juste qui lui écrit « Vous êtes toujours Miomandre l’enchanteur ». Ses déclarations d’humilité ne doivent pas nous tromper : Francis de Miomandre est l’auteur majestueux d’une œuvre extraordinaire.


Eric DUSSERT
(7 décembre 1997, février 2007)
Ajout pour François Forestier dont le commentaire de 2010 nous avait un peu échappé : Voici l'article de Francis de Miomandre qui lui vaudrait les gémonies par nous d'après-guerre qui savons ce qui pour cette génération se préparait à toute vitesse. Chacun pourra juger de quoi parle Miomandre :

Les Nouvelles littéraires, 19 février 1938, page 1 :

Retour à Rabelais
Le succès formidable de M. Louis-Ferdinand Céline auprès du grand public est une chose d’autant plus remarquable que la critique ne semble pas du tout le ratifier. Elle boude, la cri tique, et il ne faut pas du tout croire que c’est à cause de la violence, sans cesse croissante, du pamphlétaire. Non, Elle a boudé dès le début. Dès le début, il y a eu un malentendu foncier entre elle et cet auteur extraordinaire, hors série, inclassable.
Ce malentendu provient de la notion, absolument erronée, que la cri tique {je parle en général, cela Va sans dire) se fait du langage. Elle ne le conçoit que sous la forme écrite. Elle ne se rend pas compte des ressources extraordinaires que l’on peut tirer du langage parlé. Elle ne se rend pas compte qu’il y a un u classicisme » du langage parlé. Elle ne conçoit donc pas que l’on puisse le faire passer dans le langage écrit. Elle y Voit une violation de la règle du jeu, une sorte d’hérésie.
Or, tout le génie de Céline consiste dans cette opération, d’ailleurs magistralement réussie. Ecoutez un Français moyen, homme du peuple ou bourgeois, écoutez-le quand il est ivre (c est-à-dire dans un état momentanément confondu avec l’inspiration lyrique) ou quand il est en proie à un sentiment très violent {colère, indigna tion, douleur, etc.) : il parle comme Céline. Peut-être avec un Vocabulaire moins riche — car celui de l’auteur de Bagatelles pour un massacre (1) est prodigieux — mais à coup sûr avec la même syntaxe, bousculée, éclatée d’inversions, interjeclive, furieuse, étonnamment vivante. Ces audaces gênent comme autant d’indécences des hommes habitués à une littérature élégante, polie, rectifiée à l’extrême, comme est la nôtre. Littérature de mandarins, en somme, et dont je ne méconnais pas l’exquisité. Mais l’écueil en est la fadeur, et je ne sais quel conformisme académique, avec quoi les livres de Céline font un saisissant contraste. Il faut remonter jusqu’à Rabelais pour trouver dans notre littérature, une verve aussi Vigoureuse, une allégresse Verbale aussi délirante, je ne sais quelle noblesse dans la vulgarité la plus débridée, une telle faculté de créer des mots, des temps de verbes, des formes de phrase : tout cela dans la Verte et pure tradition plébéienne des Halles, des cafés, des champs et de la rue. Francis de Miomandre

(1) Denoël.



NOTES
(1) Un fragment du "Caméléon mystique" de Maurice Fourré a paru dans l’ouvrage de Philippe Audoin, Maurice Fourré rêveur définitif, suivi de Le Caméléon mystique (Paris, Le Soleil Noir, 1978) et intégralement aux éditions Calligrammes (Quimper) en 1981 avec une préface de Jean-Pierre Guillon.

(2) Armand GODOY (1880-1964), poète, essayiste et mécène cubain de langue française. Paul Léautaud lui fait un sort particulier dans son Journal littéraire : « une espèce de poète sud-américain fort riche qui s’est fait ces temps-ci une petite réputation à coup d’argent. (...) N’empêche que les combinaisons de Z. (Godoy) éclatent aux yeux de tous. (…) Il a commencé par financer le monument de Jean Moréas, ce qui l’a posé tout de suite. L’autre soir, devant moi, il a apporté à Vallette et à Dumur un exemplaire d’une recueil de sonnets qu’il a fait imprimer à ses frais chez Blaizot, très luxueusement (…) Il paraît aussi qu’il a fait paraître ou va faire paraître en collaboration avec Miomandre un volume de grand luxe sur le Caméléon de Miomandre. Nous sommes en pleines Précieuses Ridicules » (Journal littéraire. — Paris, Mercure de France, 1986, vol. 2, pp. 1212-1214). Il semble en effet que Godoy a aidé quelques écrivains au nombre desquels on trouve Miomandre comme en témoigne la publication des poèmes de Caméléon. Godoy a surtout financé La Phalange, revue littéraire fondée en 1906 par l’initiateur du “musicisme” Jean Royère, à laquelle de nombreux auteurs ont collaboré (Nau, Viélé-Griffin, Ghil, Spire, Romains, Verhaeren, L. Chadourne). Dans Une campagne littéraire (Paris, Camille Bloch, 1927), Valéry Larbaud a écrit à son sujet : « La Phalange fut une des premières revues de conciliation qui parurent dans cette période de fragmentation et de confusion des groupes et des écoles qui suivit immédiatement l’entrée définitive du symbolisme dans l’Histoire littéraire de la France. » Cependant, La Phalange tourne mal dans les années trente. Elle arbore des titres tels que « Franco ! Franco ! Franco ! » (février 1938) quand il ne s’agit pas de Mussolini.

(3) Pantomime anglaise (1918). Voir aussi ce clin d'oeil de Jean Paulhan en dédicace de ses Entretiens sur les faits divers (Paris, Société des médecins bibliophiles, 1930) : "pour Francis de Miomandre/ (sans vouloir l'ennuyer) et/ avec la bien vive sympathie/ de Jean Paulhan./ Ce livre qui/ manque un peu d'animaux. (Pourtant, p. 14, un tatou)." (Collection Francis de Miomandre, vente des 3 et 4 décembre 1934, p. 47).

(4) Interviewé par Frédéric Lefèvre pour les Nouvelles littéraires en 1926, F. de Miomandre se rappelle que le deuxième tirage du livre, trois mille exemplaires imprimés après la remise du prix, ne sera épuisé que douze ans plus tard (“Une heure avec...” du 9 janvier 1926 repris dans F. Lefèvre, Une heure avec... Quatrième série. — Paris, N.R.F., 1927, pp. 97-111).

(5) Octave Mirbeau est absent car il boude Léon Daudet qui avait laissé passer dans l’Action française un compte-rendu injurieux à propos de sa pièce Le Foyer. Quant à Paul Margueritte, il marque par son absence la fureur que lui cause l’élection de Jules Renard contre son frère Victor Margueritte. Léon Deffoux, Chronique de l’Académie Goncourt. — Paris, Firmin-Didot, 1923.

(6) L. Deffoux, op. cit., pp. 111-114.

(7) Amédée ROUQUÈS, poète et auteur dramatique né à Paris le 23 janvier 1873 est l’auteur de ce seul roman.

(8) Jean VIOLLIS (pseudonyme de Henri d’Ardenne de Tizac, 1877-1932) ex-secrétaire du député Emmanuel Chaumié, est un romancier de la vie provinciale. Il laisse des romans et des essais sur l’art asiatique.

(9) Jules Renard, Journal (1887-1910). — Paris, N.R.F., 1960, p. 1214.

(10) Le cas est unique car la tradition ne s’établit pas. L. Deffoux, op. cit.

(11) Hector Talvart, Joseph Place et Georges Place, Bibliographie des auteurs modernes de langue française (1801-1962). — Paris, Editions de la Chronique des Lettres françaises, 1963, T. XV, pp. 189-243.

(12) F. Lefèvre, op. cit.

(13) F. Lefèvre, op. cit.

(14) Edmond JALOUX (1878-1949) s’installe à Paris en 1908. Employé au service de la propagande du Ministère des Affaires étrangères (1917-1923), il entre en 1922 aux Nouvelles littéraires où il devient l’un des meilleurs critiques de sa génération, salué pour son absence de préjugés. Imprégné des cultures anglaise et allemande, il est l’introducteur de Rilke en France et le commentateur des œuvres de Novalis, Jean Paul et Goethe. Ses mémoires, de haute qualité et d’intérêt majeur, offrent de très nombreuses, très longues et très belles pages sur son ami Francis de Miomandre : Les Saisons littéraires, 1896-1903 (Lausanne, Luf, 1942) et Les Saisons littéraires, 1904-1914 (idem, 1950).

(15) Augusto GILBERT DE VOISINS (1877-1939) évoque l’histoire de la Revue méditerranéenne dans Les Miens (Bernard Grasset, 1926). Arrière-petit-neveu de Boileau et ami intime de Pierre Louÿs, il occupe une place originale dans la vie intellectuelle du début du siècle. Héritier d'une grande fortune, il se consacre à ses passions : les lettres, les voyages et les collections. Fasciné par le Nouveau Monde, il est l’auteur un roman inspiré par la vie des chercheurs d'or (Le Bar de la Fourche). Il tient un salon littéraire où se retrouvent les écrivains qui ont le goût de l'exotisme. Dans son appartement orné de plantes tropicales, de boucliers africains et de paravents chinois, se côtoient Henri de Régnier, Pierre Louÿs, Herédia dont il épouse une fille, Claude Farrère. C'est ce dernier qui lui présente durant l'hiver 1908-1909, le poète sinologue Victor Segalen avec lequel il organise un périple chinois. Il obtient le Grand prix de littérature de l'Académie française en juin 1926.

(16) Albert ERLANDE, pseudonyme du poète et romancier Albert Brandenbourg (1878-1934), collaborateur du Feu et du Mercure de France.

(17) Le Grec Théodore Lascaris était un ami de la jeunesse marseillaise d’Edmond Jaloux.

(18) Camille MAUCLAIR, pseudonyme de Séverin Faust (1872-1945) publie des recueils de poésie, des romans et de nombreux essais sur l’histoire de l’art ou la musique. Il est le fondateur du Théâtre de l’œuvre en 1893 avec Lugné-Poe. On peut dire qu’il a transmis à son disciple son éclectisme et son goût pour l’art dramatique, sans lui inculquer ses réflexes rétrogrades.

(19) F. Lefèvre, op. cit.

(20) La véritable première aura lieu en 1959 dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault.

(21) P. Léautaud, op. cit., à la date du 31 août 1921. Plusieurs volumes de Robert d’Humières ont paru au Mercure de France après-guerre : Le Livre de la beauté précédé d’une étude sur l’auteur par Camille Mauclair (1921), Théâtre (1923), Théâtre II (1924) et Les Parfums et la Cendre (1925).

(22) Félix FÉNÉON (1861-1944) est une figure essentielle des années 1880-1920. Collaborateur de la Revue blanche, de la Libre Revue il fonde en 1884 la Revue indépendante et avec Gustave Kahn la Vogue en 1886 et co-rédige avec son ami Victor Barrucand la rubrique "Passim" de la Revue blanche. Ses contributions à la presse anarchiste (L’En-Dehors, la Revue anarchiste, Le Père Peinard) et la découverte de détonateurs dans le bureau qu’il occupe au ministère de la Guerre valent à ce sympathisant de la Cause d’être inculpé lors du procès des Trente où Mallarmé vient témoigner en sa faveur. Il est encore l’inventeur des “Nouvelles en trois lignes” publiées par Le Matin, le directeur littéraire des éditions La Sirène de 1920 à 1924. Miomandre le côtoie alors qu’il est directeur artistique de la Galerie Bernheim Jeune depuis 1908.

(23) « L’Amazone » a laissé des mémoires, Aventures de l’esprit, où figure en bonne place notre auteur (Emile-Paul frères, 1929).

(24) P. Léautaud, op. cit., 10 octobre 1927.

(25) Talvart et Place, op. cit.

(26) Oscar Vladislas de Lubicz MILOSZ est (1877-1939) est l’auteur d’une œuvre importante quoique méconnue. On peut citer Eléments (Ed. de l'Occident, 1911), La Confession de Lemuel (La Connaissance, 1922), Don Miguel Manora, mystère en six tableaux historiques (Théâtre idéaliste, 1912), Ars Magna (Ed. du Monde nouveau, 1924), etc. Milosz et de Miomandre ont écrit à quatre mains une comédie-vaudeville, Le Revenant malgré lui, restée longtemps inédite (Les Amis de Milosz, n° 23-24, 1985).

(27) L’Ermitage de février 1900 cité in Michel Décaudin, La Crise des valeurs symbolistes. Vingt ans de poésie française, 1895-1914. — Paris, Slatkine, 1981.

(28) Article repris dans André Derval (éd.), 70 critiques du Voyage au bout de la nuit (1932-1935) — Paris, IMEC éditions, 1993, pp. 134-135.

(29) Elégance des temps endormis (J.O. Fourcade, 1930), traduction rééditée en 1994 par Le Dilettante.

(30) Armand Colin, 1937.

(31) F. Lefèvre, op. cit.

(32) F. Lefèvre, “Une heure avec...” in Les Nouvelles Littéraires, n° 372, 30 décembre 1929.

(33) Qualificatif issu du nom du peintre et dessinateur anglais Aubrey BEARDSLEY (1872-1898). Influencé par les préraphaélites, il a notamment illustré avec Salomé d’Oscar Wilde, les Contes de Poe et Madame Bovary.

(34) J. Renard, op. cit., janvier 1909.

(35) André Gide, Journal et souvenirs. — Paris, N.R.F., 1953. A la date de Noël 1906.

(36) Cité in Léon Treich (dir.), Almanach des Lettres françaises et étrangères. — Paris, Crès, 1924, T. II. Sur le jeune Francis de Miomandre alors impécunieux lecteur de Jules Laforgue, dans les cafés de Marseille, rien ne remplace les souvenirs d’Edmond Jaloux, op. cit.

(37) P. Léautaud, op. cit., 31 mars 1937.

(38) Dans son journal, Léautaud note à la date du vendredi 4 décembre 1908 « Tout ce que je connais de lui avant, ne m’attire guère. C’est un élève de Camille Mauclair. Cela me suffit » (Paris, Mercure de France, 1987. T. I, p. 700). Plus tard, la personnalité d’Armand Godoy s’interpose.

(39) P. Léautaud, op. cit., 5 juillet 1939. La tentation dûe être forte pourtant pour Auriant (pseudonyme choisi par Rachilde qui ne parvenait pas à se remémorer le nom d’Alexandre HADJIVASSILIOU), bibliographe érudit du siècle dernier qui eut quelque mot avec Paul Léautaud dont il avait partagé un temps le quotidien dans les locaux du Mercure de France. Spécialiste de Georges Darien, entre autres sujets, Auriant publia en un pamphlet intitulé Une vipère lubrique : Paul Léautaud (Bruxelles, Ambassade du livre, s. d. ; rééd. Reims, A l’écart, 1988).

(40) P. Léautaud, op. cit., 10 octobre 1927.

(41) P. Léautaud, op. cit., 5 octobre 1936.

(42) P. Léautaud, op. cit., 13 décembre 1939.

(43) Abbé Louis BETHLEEM (1869-1940). Romans à lire, romans à proscrire. Essai de classification au point de vue moral des principaux romans et romanciers (1500-1932) avec notes et indications pratiques. Onzième édition. — Paris, Editions de la Revue des lectures, pp. 161-162.

(44) Né en 1875 à Roanne, Paul Renaison dit Jean ERNEST-CHARLES est un avocat spécialisé dans les procès littéraires devenu rédacteur-en-chef du Censeur. Il est l’auteur de Théories sociales et Politiciens, 1870-1898 (Fasquelle, 1898), La Littérature française d’aujourd’hui (Perrin, 1902) et Samedis littéraires (Perrin, 1903-1907, 5 vol.). Il est aussi la bête noire de Willy qui le surnomme « Ernest-Jules ».

(45) Sic.

(46) M. Décaudin, op. cit. Miomandre revient sur l’expérience de la Revue méditerranéenne dans Ecrit sur de l’eau et Les Baladins de l’amour.

(47) Cité par Michel Bulteau, Le Club des longues moustaches. — Paris, Quai Voltaire, 1988, p. 202.

(48) In Le Feu. Notre document ne porte pas de date.

(49) Collection particulière.

(50) Mentionné dans le catalogue Francis de Miomandre de la Librairie Sylvain Goudemare, 1994.

© Eric Dussert, 2007.

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