Parce que des Parques perverses veillent à la non divulgation de l’œuvre de Gabriel Pomerand, il n'y a pas de raison que nous ne nous autorisions pas à balancer la purée bibliographique. Il y a trop longtemps que nous attendons des publications (à l'instar de ce qui arrive aussi à ce pauvre Claude Pélieu dont les inédits se promènent dans des poches peu partageuses).
Il semblerait qu'un cachalot se soit allongé sur le trésor pour y crever. Allez donc dépecer le cadavre ! Avant que cela ne commence à sentir, voici des pistes qui donneront peut-être envie aux uns et aux autres d'aller voir par eux-mêmes l'oeuvre singulière de ce premier prix du Festival du court métrage, fondateur du lettrisme et suicidé le 26 juin 1972 dans le XVIIIe arrondissement de Paris (ce qu'infirme l'état civil) ou à New York - les légendes affolent autant que les livres cultes.
Créateur avec Isou du lettrisme en 1946 Gabriel Pomerand a alors la vingtaine. Comme l'écrit Christophe Bourseiller, le groupe lettriste est dès le début "un foyer d'émergence de la conscience homosexuelle". (Vie et mort de Guy Debord, p. 102). Il est alors domicilié rue Saint-Benoit et manifeste un talent certain pour la provocation, dont sa bibliographie porte la trace.
L’appréciation suivante fut écrite par Isidore Isou (Bizarre, 1964, numéros 32-33). On y ajoute donc nulle foi, mais on la cite tout de même, pour information.
L’un des premiers membres du groupe lettriste, l’un de ceux qui se sont dédiés à notre domaine avec une foi et une puissance d’action remarquables, a été l’auteur de la Symphonie en K, au point qu’on peut affirmer qu’il y a dans l’histoire du lettrisme une véritable période Garbriel Pomerand.
Si Isou était décidé à propager l’art des phonèmes par tous les moyens, y compris l’intervention scandaleuse, assuré d’avance que cette démarche quotidienne ajouterait à son apport intrinsèque une légende spécifique qui rappellerait par certains points les légendes des grands hommes et des grands mouvements littéraires passés, c’est Pomerand qui a paré notre histoire de quelques-uns de ses plus beaux éclats, de quelques-uns de ses plus émouvants rayonnements.
(…) S’il participa au premier rang à toutes les manifestations et protestations de notre mouvement, de 1945 à 1950, depuis la première soirée lettriste à la Salle des Sociétés Savantes, le premier collage de tracts dans le sixième arrondissement contre la poésie rétrograde de la résistance et le grand scandale du Théâtre du Vieux Colombier à l’occasion de la Fuite de Tristan Tzara, qui vit répandre notre nom et notre conception dans la presse du monde entier, il fut surtout le promoteur principal de maintes manifestations importantes, depuis les Conférences de la Salle Rochefort et de la Salle de Géographie, où fut lu l’essai sur la peinture lettriste, jusqu’aux réunions de la Librairie de la Porte Latine, siège qui’il avait trouvé, pour en faire le bureau central de notre groupe et dont il resta le grand animateur.
Ce fut lui encore qui représenta les lettristes à la fondation du Tabou, ce lieu à jamais célèbre pour cette époque, et qui y vint chaque soir réciter des poèmes phonétiques, en enrichissant notre légende d’un volet social inédit, d’une dimension noctambule, et en offrant à ce lieu une raison d’immortalité, car il se perpétuera plus sûrement à cause de l’archange de notre groupe qu’à cause de tel ou tel ersatz philopophique ou versificateur.
Sur le plan des oeuvres, Pomerand nous a déja donné de nombreux poèmes très intéressants, mais surtout cette passionnante "Symphonie en K," qui est la première chorale ciselante, le premier morceau ciselant à plusieurs voix et dont certain fragment déjà classique est souvent récité de mémoire par de plus jeunes lettristes.
(…) On croirait que Pomerand, comme Marcel Duchamp à une certaine époque, est en train de jouer une interminable partie d’échecs, si l’on ne savait pas qu’il continuait à produire des poèmes phonétiques, à peindre des toiles hypergraphiques, à demeurer par son travail essentiel lié à une doctrine et à une école auxquelles, peut-être, un jour il saura de nouveau dédier ses possibilités de réalisation quotidienne en vue d’une meilleure propagation de notre système de valeurs de de nos accomplissements concrets.
Bref, plus qu'aucun, et avec l'auteur du Tombeau de Pierre Larousse et J.-L. Brau, l'une des trois figures majeures du Lettrisme et régions circonvoisines.
Grâce à Patrick Fréchet qui nous ramène à la vérité biographie, il faut ajouter que Gabriel Pomerand, né Pomerane le 13 juin 1925 à Paris 12e, fils de Icek Pomerane et de Rajka Wajbrot, est décédé le 26 juin 1972 à 12 h 30, 24, rue de l'Arbre Sec, Paris 1er. Il est bon de partir sur des bases solides.
Bibliographie lacunaire de Gabriel Pomerand
Ouvrages
Le Cri et son archange. - Paris, Fontaine, 1948, 110 p. n. c. 480 exemplaires numérotés sur papier pur chiffon et 20 exemplaires de tête numérotés hors commerce.
Testament d'un archange déçu (lithographies de Jean Loiseau). - Paris, Fontaine, s.d. (1948 uoo 1949).
Les méditations d'un bâtard (Ou Les Divertissement d'un Archange). - Paris, Les Presses Littéraires de France, 1949 (a. i. 28 juin). En feuilles 280 x 230 mm, couverture imprimée rempliée. Édition originale. le tirage comprend quelques exemplaires hors commerce sur pur chiffon à la forme comme les 20 numérotés de tête, et 80 sur alfa du Marais. Faux-titre de liaison entre la couverture et la page de titre qui mentionne "ou les divertissements d'un Archange". "On dirait du Dali en lettres" admettait un libraire, une "sorte de délire poético-métaphysique teinté d'érotisme".
Lettres ouvertes à un mythe (ou les enfantillages d'un amoureux transi. - (Paris), Aux dépens d'un amateur, 1949, 72 pages. Rare ouvrage publié à 203 exemplaire sur Cabrol à la main. Le foliotage est manuel (stylo bille) et suivi des lettres "ff".
Notes sur la prostitution. - (Paris,) Aux Dépens de la morale (imprimerie Bernouard), 1950, in-8, br., 185/240 mm, n.p. Tiré à 267 ex. num. dont 235. sur crèvecoeur du Marais.
Considérations objectives sur la pédérastie. Conférence interdite par le Préfet de police. Les Sexes mal famés. - P., Aux Dépens du Public, (Imprimerie Bernouard), 1949, in-8 carré, br., n.p. (70 p.) E.O. 1000 ex sur vélin blanc Francia et 40 exemplaires sur grand papier. On trouve aussi des notices avec cette référence : "Chez l'auteur, Paris, 1949" ou "Paris, Eigendruck, 1949". La chronique rapporte que le 30 novembre 1949, Gabriel Pomerand souhaitait donner une conférence à la salle d'Horticulture. Il la publia le 15 décembre en y agrégeant en préface l'arrêté et en annonçant une nouvelle conférence pour le 19 décembre suivant au théâtre du Vieux Colombier avec les chœurs de Francois Dufrêne. Cette longue conférence ne fut donc jamais prononcée et valut à son auteur un emprisonnement.
"Né sous le signe du cri, je ne prononce de mots qu'autant qu'ils sont des cris et peuvent encore effrayer par leur pouvoir."
Saint Ghetto des prêts. Dessins de l'auteur. Grimoire. Préface de Jacques Baratier. - Paris, O.L.B. (Odette Lazar), (1950). 290x227 mm, non paginé (120 p.), illustré de 48 planches en noir, une pour la couverture et 47 en regard du texte, chacune constituée d'une multitude de petits dessins où se mêlent des chiffres et des lettres.
"Chacun des signes qui composent cet ouvrage, je l'ai extirpé de son néant comme un homme obligé d'inventer la sagesse. Il faut que les significations soient enfermées sous cinquante couvercles et portillons et que les sésames en soient perdus".
Le Testament d'un acquitté, précédé de ses aveux publics. - Paris, R. Julliard, coll. "La Porte ouverte", 1951, br., 118x187 mm, 105 p.
Antonio hors de galaxie. - Paris, Jacques Loyau,1954, in-8 oblong, broché, couverture illustrée d'un portrait par Dessirier et d'un dessin de Cocteau au second plat, non paginé. Edition originale, tirée à 100 exemplaires dont 15 tirés pour le plaisir de l'auteur avant 85 de souscripteurs présumés sur vergé. Monographie consacrée au danseur de flamenco Antonio Gades et illustrée de 6 photographies contrecollées. Bandeau de l'éditeur. Hormis sa préface, ce recueil d'hommage au danseur espagnol, "évoqué à grand renfort de Greco, de Goya, de Picasso, de Don Quichotte & de Lorca", n'est imprimé que sur les bonnes pages.
Les Puérils. - Paris, Robert Laffont, 1956, in-12, br., 247 pp. Un exemplaire du S.P. a circulé avec cet envoi autographe signé "a Mr Jean-Paul Sartre qui n’aura pas le temps de lire ce texte".
"Une certaine jeunesse aujourd'hui tient Hollywood pour l'Olyumpe et les vedettes pour des dieux. Le héros de ce roman, Constant, un petit vendeur de cacahuètes, va tenter de devenir un dieu à son tour."
Le Petit philosophe de poche. Textes réunis par Gabriel Pomerand. - Paris, Le Livre de Poche. 1962, 110 x 165 mm. 435 pages. Coll. "Le livre de poche encyclopédique" (n° 751-752). Couverture Souple illustrée.
Collectif Lettrisme & Hypergraphie (Altmann - Brau - Dufrêne - Hachette - Isou - Jessemin - Naves - Pomerand - Roderdhay - Sabatier - Spacagna - Studeny - Vronski - Wolman). - Paris, Galerie Stadler, 1964.
Le D. Man. - Paris, Christian Bourgeois, 1966, 120/199 mm, 174 p. 27 exemplaires numérotés sur alfa mousse Navarre. Un procès conduira l'ouvrage à l'interdiction et à la destruction partielle.
Le Petit philosophe de poche. Textes réunis par Gabriel Pomerand. - Paris, Le Livre de Poche. 1970, 110 x 165 mm. 435 pages.
Le Petit philosophe de poche. Textes réunis par Gabriel Pomerand. - Paris, Le Livre de Poche. 1976, 110 x 165 mm. 435 pages.
Le Petit philosophe de poche. Textes réunis par Gabriel Pomerand. Paris, Le Livre de Poche. 1985.
Le D. Man. - S.l. (Lyon), les Livres de Nulle part, 1994, 150/100 mm, n. p. (44 p.) Edition tirée à 99 exemplaires hc. Reproductions d'une manchette "alerte à la drogue qui rend fou" concernant l'arrivée en France du LSD 25.
Considérations objectives sur la pédérastie. Conférence interdite par le Préfet de Police. Les sexes mal famés. - Lille, Cahiers GKC (GayKitschCamp), 1995. Reprint de l'édition de 1949 équipé d'une postface de Patrick Cardon. une autre édition aurait paru en 2001.
Le Petit Philosophe de Poche. - Paris, Le Livre de poche, 1996 (nouvelle impression).
Edition collective
Conférences. discours d’un terroriste, notes sur la prostitution, considérations objectives sur la pédérastie, Cahiers de l’externité, 1998 ou 1999, 104 p.
En revues
Psyché (n° 20, juin 1948), numéro spécial sur la poésie, "Trois suicidés significatifs : Jacques Vaché, Jacques Rigaud, René Crevel" p. 698-701.
Idem, "L'exemple de Franz Werfel devant la souffrance sociale" p. 701-702
"Opus XXVI. Fragment d'oratorio extrait de “Paris, ton décor fout le camp". (Désordre) film documentaire. Ouverture du trio en A, Taratata", UR (n° 1, Paris, 1950).
La Gazette des lettres (n° 12, 15 sept. 1951).
La Gazette des lettres (n° 13, 15 octobre 1951).
"La Légende cruelle", décembre 1950, ION. Centre de Création (n° 1, n° spécial sur le cinéma, seul paru). Dir. Marc-Gilbert Guillaumin. Paris, avril 1952).
Internationale lettriste (n° 1, Paris, décembre 1952).
"Poème pour un film", UR, n° 3, Paris, 1953).
"Observez en vous chaque jour" Les Lettres nouvelles (n° 19, septembre 1954).
"Chanson d'amour en un pays lointain", Revue Lettriste, Paris, 1959.
"Sons de cloches en leur fidélité", Revue lettriste, 1959.
" Origine de l'humanisme" in Haute Société (n° 2, septembre 1960, p. 57).
La Parisienne (n°31, août-sept. 1955).
"Symphonie en K (extrait)", "La Musique Lettriste. (La musique lettriste, hypergraphique, infinitésimale, aphoniste et supertemporelle)", “La Revue Musicale“ (Paris, Richard-Masse, 1971, n° 282-283, p. 91-94).
"Sons de cloches en leur fidélité", in J.-P. Curtay, La Poésie Lettriste. - Paris, Seghers 1974, p. 206-207.
"Voici les paroles que prononça le dionysiaque. (Premier partie de la conférence de Gabriel Pomerand, à la séance lettriste du 22 décembre 1947 à Paris, salle des Sociétés savantes), Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 93-95).
"Considérations objectives sur la pédérastie (Extraits de la "conférence non prononcée le 30 novembre 1949 à la salle de la Société d'Horticulture"), Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 98-101).
"Notes sur la prostitution. Aux dépens de la morale". Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 96-97).
"Le Théâtre. Tableau-Méditation numéro 2 (Traduction du texte transcrit en signes métagraphiques (1952)" Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 102-103).
"La Légende cruelle", Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 159-166).
"Concerto en K Opus VII" Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 104
"L'Indifférent miraculé", Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 105
"Le million du Cocu", Supérieur Inconnu (n° 6, janvier-mars 1997, p. 106-107
Gabriel Pomerand a contribué à Combat, Le Nouvel Adam, L'Orient (Beyrouth), La Gazette des lettres (n° 12, 15 sept. 1951 et n° 13, 15 octobre 1951). - Haute Société (septembre 1960, n° 2) - La Dictature lettriste (secret.-réd.) - Haute Société (n° 3, 1960) - La Parisienne - La Parisienne, Revue Littéraire Mensuelle, N° 31, août-sptembre 1955 - La parisienne, N 24, janvier 1955
Collectifs
François Letaillieur (éd.) POMERAND (Gabriel) et BRAU (Jean-Louis) et SPACAGNA (Jacques), Galerie 1900-2000, 1997-2004. Trois volumes in-12 br. et agrafés sous coffret carton éditeur. Chaque volume richement illustré, est accompagné d'un texte, d'une chronologie historique, d'une bibliographie par François Letaillieur. Indispensable pour comprendre le Lettrisme.
Qu'il soit né le 13 juin 1925, à Paris, est officiel. Cette date, ce lieu sont indiqués dans son acte de naissance, de baptême, l'acte de naissance de sa fille, repris dans son acte de décès, sa notoriété. La date du 16 juin 1926 est indiquée dans un prière d'insérer de Julliard et celle du 13 juin 1926 dans un testament daté de 1970. Cette date, publiée dans Opus en 1972, sera reprise à la suite." (p. 6)
Internationale lettriste (Serge Berna, Jean-Louis Brau, Guy-Ernest Debord, Gil J Wolman), Finis les pieds plats (29 octobre 1952)
Jean-Isidore Isou, Maurice Lemaître, Gabriel Pomerand "Les lettristes désavouent les insulteurs de Chaplin", Combat, 1er novembre 1952
Dictature lettriste (n°. 1, Paris, 1946).
A dater
Les Lettres Nouvelles, n°9, rubrique "Pastilles": "Lettre de Paris".
Idem, n°10, "Correspondance avec sa mère, de Marcel Proust".
iIdem rubrique Variétés : "Un fait-divers"
Idem, n°14, "Dessins indiens du Tumuc-Humac-par Francis Mazière"
Sur Gabriel Pomerand
Guy Marister, "Naissance du lettrisme", Combat, 5 juillet 1946.
Jacques Derogy, sur la condamnation de P. Libération, 3 mai 1950.
Justin Saget sur Le Cri et son archange, Mercure de France, 1er octobre 1948.
Justin Saget sur Lettres ouvertes à un mythe, Mercure de France, 1er juin 1949.
Jean Cau, Sans critique ni littéraire, Opéra, 17 janvier 1951.
Claudine Chonez sur S.G.des P., Les Nouvelles littéraires, 14 juin 1951.
Justin Saget, (testament), Mercure de France, 1er mars 1952.
Isidore Isou (1960-1962, Bizarre, n° 32-33, 1964.
Jean-Paul Curtay, Gabriel Pomerand, Isidore Isou, La Poésie lettriste. - Paris, Seghers, 1974, 380 p.
"Visages de l'avant-garde" (1953), inédit de l'Internationale lettriste, publié chez Jean-Paul Rocher en 2010.
Prix
Premier prix au festival international du court métrage (La Légende cruelle sur les peintures de Léonor Fini)
Documents
"Epreuve d'un carton d'invitation : "Vous êtes convié à la conférence de Gabriel Pomerand, intitulée "Considérations objectives sur la pédérastie" qui aura lieu le mercredi 30 Novembre 1949 à 21 heures à la société d'Horticulture, 84 rue de Grenelle, métro : rue du Bac. Participation aux frais".
Conférence interdite comme étant susceptible de troubler l'ordre public. Pièce probablement unique."
1 De Alex -
Dans le roman "Les Puérils", de Gabriel Pomerand (Ed. Robert Laffont, avril 1956), on peut lire une description ironique de la venue des Lettristes au Festival de Cannes en 1951 où fut présenté en marge du festival le film d'Isou "Traité de bave et d'éternité" (p. 187-188 et 217-218).
« A ce moment, devant la porte, ils rencontrèrent Donjuan, Donjuan de la Friterie, qui, les voyant, sauta sur eux.
– Ah mes amis, mes amis.
– Que fais-tu ici ?
– Je suis venu avec les Istes.
– Avec qui ? Avec les petits arrivistes ?
– Oh, ce sont des gars gentils, les Istes, et il y a deux ou trois poupées amusantes parmi eux.
Sur tous les murs de la cité estivale, on pouvait lire, marquées à la craie, les inscriptions : Vive l’Isme ! Vive les Istes !
– Qu’est-ce que c’est que ce truc ? demanda Constant.
– Oh ! rien, dit Troupier. Lorsqu’on veut arriver, on forme une bande. Cette bande s’appelle une école littéraire. Le principe en est : Moi, je t’appuie. Toi, tu m’appuies. Toi, tu diras que je suis champion du monde de boxe. Moi, je dirai que tu es champion du monde de natation. Mais tout cela est mensonge. Quelquefois ils arrivent à convaincre quelqu’un, mais plus souvent ils meurent cinglés, se croyant champion du monde d’athlétisme.
– Mais quel rapport cela a-t-il avec le cinéma, s’inquiéta Constant.
– Tu n’as qu’à appronfondir cette affirmation. Ces jeunes idiots prétendent être les plus grands cinéastes du monde, et comme entre eux personne ne dément l’autre, ils croient en avoir convaincu le monde entier.
[…]
Au restaurant de la gare, un Iste s’approcha de lui et lui demanda de signer une lettre contre Michel Dupré, le président du Festival, qui avait refusé de présenter dans le sein du Palais un film de ces jeunes gens. Constant était prudent. On lui avait appris à ne pas signer inconsidérément des pétitions politiques et il prétexta des contrats lui interdisant de signer sans l’autorisation de son imprésario. Le jeune Iste le quitta en le traitant de sénile et de renégat de la jeunesse. Constant ne savait s’il devait se fâcher. Il laissa courir, ces exclamations ayant l’air d’être des arguments politiques plutôt que des injures. Un monsieur à côté de lui, très âgé, mit ses lunettes à monture d’or, lut très attentivement le texte de la protestation tapé à la machine, puis, sans dire un mot, signa avec un lourd stylo en or, un nom parfaitement incompréhensible sous lequel il écrivit sa profession, banquier en l’occurrence. L’Iste, heureux, le remercia et lui dit :
– Vous êtes encore jeune.
Le banquier sourit et revint à son assiette. Constant rentra faire sa sieste. Sur son chemin il rencontra deux autres Istes. Ils l’invitèrent, le prenant pour quelqu’un d’autre sans doute, à venir à la manifestation qu’ils organisaient dans l’après-midi du même jour au cinéma de l’Alhambra. Fatigué de sa nuit, Constant s’endormit rapidement et vers six heures se leva, reposé. En passant devant le cinéma de l’Alhambra, il vit une foule de snobs, de journalistes et de badauds qui s’engouffraient dans la salle. Il en fit autant, pensant rester jusqu’à l’heure du dîner. On le laissa entrer sans lui demander de billet. Un jeune homme moustachu, sur l’estrade, face au public, pérorait sur le cinéma de l’avenir. Les gens hurlaient : Nous voulons voir le film. Le jeune homme répondait : Voilà le film, éteignait puis rallumait la lumière de la salle sans rien présenter sur l’écran.
– A bas les farceurs et les escrocs, criaient des spectateurs.
D’autres, révoltés, prirent à partie le moustachu défendu par ses camarades. Il les injuria, les traitant de merdeux, de vermines, de taupes, de chauves, etc. »
Il est aussi question de Gabriel Pomerand dans "Visages de l'avant-garde" (1953), inédit de l'Internationale lettriste, publié chez Jean-Paul Rocher en 2010.
2 De André -
Puis-je ajouter que l'on trouve d'autres brèves interventions de Pomerand dans la revue Les Lettres Nouvelles,ainsi,dans le n°9,rubrique "Pastilles":"Lettre de Paris",n°10,"Correspondance avec sa mère -de Marcel Proust",rubrique Variétés:"Un fait-divers",n°14,"Dessins indiens du Tumuc-Humac-par Francis Mazière".D'autres peut-être?
3 De Patrick Fréchet -
Petite précision : Gabriel Pomerand, né Pomerane le 13 juin 1925 à Paris 12e, fils de Icek Pomerane et de Rajka Wajbrot, est décédé le 26 juin 1972 à 12 h 30, 24, rue de l'Arbre Sec, Paris 1er (et non 18e).