Remy de Gourmont (Francis de Miomandre)

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Le 1er janvier 1916, la Revue de Paris donnait entre ses pages 138 et 162 un long article de Francis de Miomandre consacré à Remy de Gourmont, qui s’était éteint le 27 septembre précédent d’une congestion cérébrale et avait été enterré au Père-Lachaise (10e division, 4e ligne, Y, 22) dans la sépulture de Clésinger.

Ca n’est pas à proprement parler une nécrologie, mais plutôt un petit essai d’hommage.



NB Francis de Miomandre affuble le prénom de Gourmont dans e accentué. Nous respectons son choix.



REMY DE GOURMONT



“… un esprit désintéressé de tout et intéressé à tout.” (R.G. Le Chemin de velours)


L’écrivain qui vient de mourir à la fin de septembre dernier était un de ceux qui honoraient le plus la littérature française contemporaine par l’étendue et la variété de ses connaissances, la subtilité et la force de son esprit philosophique, la perfection et le charme de son style, enfin la haute dignité de sa vie, modèle rare de labeur et d’indépendance.
De cette vie elle-même, il y a fort peu à dire, et cela pour la raison bien simple qu’elle fut tout entière sacrifiée à l’œuvre accomplie. Elle se perd, elle s’efface dans le rayonnement d’une gloire qui, pour être discrète et restreinte, n’en est sans doute que plus intense, plus durable. On ne sait d’elle que bien peu de choses, car elle ne prête point à l’anecdote (1). Quelques intimes ont seuls approché cet homme réservé, distant, paisible, qui n’a jamais fait de confidences. Ceux même qui l’admiraient le plus, craignant de le déranger dans son travail ou dans ses méditations, n’osaient frapper à sa porte, et le laissaient seul.
La solitude fut peut-être l’amie la plus chère et la plus fidèle de Rémy de Gourmont. Elle lui tenait compagnie dans son appartement de la rue des Saints-Pères, tout tapissé de livres, vrai cocon de papier pour insecte laborieux, et qu’il habitait depuis de si longues années que je ne sais pas même s’il en eut jamais d’autre. Il travaillait là, coiffé d’un bonnet et vêtu d’une longue robe de bure à camail qui le rendaient pareil à quelque moine studieux de jadis. Vite oppressé, il parlait peu, d’ailleurs blasé sur tout ce qu’on peut dire, trop certain que rien ne vaut, pour exprimer des pensées délicates ou justes, l’écriture. Il ne sortait guère, excepté vers la fin de sa vie, où quelques amis très fidèles avaient su, par d’adroites et affectueuses sollicitations, vaincre sa timidité d’homme d’étude. On le rencontrait plus souvent sur les quais, où il faisait la chasse au bouquin, et au Mercure de France, dont il fut un des fondateurs et où il donna à peu près toutes ses œuvres (2). Il y jouissait, et par delà sur toute la génération indépendante des pays où l’on aime la langue française, d’un prestige d’autant plus incontesté qu’il l’avait toujours gardé pur de tout dogmatisme, de toute théorie. Son talent seul attirait à lui les intelligences libres, et je sais maint écrivain de tout âge, contradicteur acharné de ses idées mais admirant quand même la façon dont il les soutenait. Tel était le respect inspiré par sa rigoureuse probité littéraire qu’il ne comptait aucun ennemi, même, je pense, parmi ceux à propos de qui sa verve s’était le plus âprement exercée. On le sentait tellement indifférent aux personnes, ne combattant ou ne défendant que leurs seules idées.
On a parlé, à mots couverts, d’une maladie terrible, qui le retenait chez lui, séparé de la communion humaine. Il est bon qu’on n’en ait parlé qu’à mots couverts. Il eût encore mieux valu qu’on n’en parlât point du tout. La connaissance que nous avons des rapports du physique et du moral est encore trop incertaine pour que nous fassions état d’une donnée de psychophysiologie dans le jugement d’une œuvre aussi peu subjective, aussi peu confidentielle, malgré sa sensibilité violente et sa sincérité ingénue. Nous devrons nous contenter d’observer que, pour avoir réduit au minimum les accidents, les faits publics de son existence, il redoubla, d’une façon vraiment exceptionnelle, l’intensité de sa vie intérieure. Il pensa la comédie du monde, à laquelle il s’abstint de se mêler quelques très rares éléments lui ont suffi, dont il tira un parti surprenant. Et c’était quelque chose de merveilleux que parfois ces jugements aigus, définitifs, qu’il portait sur des êtres et des choses qu’il n’avait pas vus, mais sur lesquels, du fond de son cabinet de travail, il projetait les antennes déliées, infaillibles, de son esprit divinateur.
Le définir ? Je ne m’y essaierai pas. De quel nom l’appeler en effet ? Penseur ? certes, mais ce mot, aujourd’hui, il semble que l’ont accaparé pour soi les faux prophètes de l’avenir social. Philosophe ? il récusait si ingénieusement toute métaphysique dans son souple système sensualiste. Poète ? seulement par le don des images, car, pudique devant toute effusion, il se restreignit à de simples jeux, exquis d’ailleurs, d’amateur de rythmes. Romancier? dans ses libres compositions il se plia si peu aux règles du genre, il mit en scène une humanité si particulière, si affranchie ! Il n’était donc spécialement rien de tout cela, mais il était un peu tout cela, et autre chose encore. Les termes d’humaniste, ou d’essayiste lui conviendraient davantage, à condition de les dépouiller de ce parfum d’abstraction, de cette odeur livresque qu’ils exhalent à condition d’évoquer tout de suite, comme terme de comparaison, les plus grands, Erasme par exemple, auquel il fait souvent penser par la qualité de son humour et l’indépendance de son esprit. Personne parmi les auteurs à qui sont familières les spéculations intellectuelles ne fut si vivant et si concret. Au fond, ce fut un homme prodigieusement doué de la faculté du style et qui a aimé et senti la vie d’une manière profonde et totale. Il est trop évident que cette phrase ne ressemble nullement à une définition. Elle serait plutôt l’esquisse d’un. portrait, du portrait que je veux ici tenter. La courbe qui commence, à Sixtine pour s’achever, brisée hélas sur cette belle œuvre de patriote indigné qui s’appelle Pendant l’orage est vraiment d’un jet trop puissant et d’une ampleur trop vaste pour être embrassée d’un coup d’oeil, mais je vais essayer de la suivre, et l’on verra, j’en suis persuadé, qu’elle se tient, et que l’écrivain, malgré qu’il ait posé d’avance son droit à la contradiction, n’en a usé que dans la mesure stricte ou tout être vivant l’emploie pour modifier insensiblement et presque à son insu les aspects d’une sensibilité qui demeure identique. C’est une contradiction subconsciente et très relative. Non seulement Rémy de Gourmont fut fidèle à un certain idéal d’artiste libre, mais encore à quelques passions personnelles dont on retrouve la trace dans ses œuvres les plus objectives. Et ces passions furent celles d’un homme, qui, adorant la vie, n’a qu’une haine et qu’une indignation celles qu’il éprouve envers les contempteurs de la vie.

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Lorsque, voici tantôt vingt-cinq ans, Rémy de Gourmont nous donna son premier ouvrage (3) il n’était déjà plus un tout jeune homme, et cela seul déjà mérite qu’on s’y arrête, car la rencontre est rare. La grande majorité des auteurs débute à peine achevée l’adolescence, ce qui les met d’ailleurs dans l’obligation de consacrer une bonne partie de leur carrière à ne donner que des promesses. Il leur faut plusieurs années pour se débarrasser des influences de leurs premières admirations, pour liquider ce qu’ils ont d’impersonnel et d’insincère, pour se trouver en un mot, soi-même et leur style. En entrant dans la vie littéraire à trente ans passés, Rémy de Gourmont réalisait donc ce paradoxe de nous offrir des œuvres qui étaient de “jeunesse”, puisque les premières, mais de s’y être en quelque sorte préparé par une quinzaine d’années de silence, de méditation et d’études et c’est ce qui explique ce caractère de ferveur adolescente, d’émerveillement devant la vie qu’elles gardent sous leur forme déjà si sûre et si nette. Étrange et subtil dosage. Dans ces livres tout bouillonnants des ferments les plus divers, où déjà joutent entre elles, en de sournoises .étreintes, l’ironie et la passion, la luxure de l’imagination et la chasteté de la pensée, apparaît, comme un fonds stable et permanent, une culture fort étendue et très riche, et malgré des audaces de vocabulaire à la mode du temps, un goût très juste. Enumérons rapidement, car nous n’aurons point le temps de nous y appesantir Sixtine, roman de la vie cérébrale, dédié à Villiers de l’Isle-Adam et fort influencé de son style ; le Latin mystique, apologie enthousiaste et ingénieuse de la vieille langue d’église opposée dans sa verdeur robuste ou dans sa savoureuse décadence à la banalité éloquente et morne du latin scolaire, ouvrage peut-être hâtif et qui a vieilli au point de vue de l’érudition, mais où respire l’âme ardente et lyrique du puissant moyen âge ; Lilith, Théodat, l‘Histoire tragique de la Princesse Phénissa, le Vieux Roi, drames pervers et ténébreux, féroces et tendres d’un théâtre à demi jouable, à demi rêvé, non sans analogie avec les premières pièces de M. Maeterlinck, mais déjà d’un accent très personnel cependant ; le Fantôme, œuvre-type de l’esthétique symboliste, conte étrange, entièrement cérébral et allégorique, où une sensualité inquiète s’exprime, non sans quelque sacrilège savamment élaboré dans le langage du mysticisme rituel. A ce genre particulier où Gourmont passa maître (à tel point que cela faillit lui faire une réputation exceptionnelle et plutôt fâcheuse) s’adjoignent les Histoires magiques, les Proses moroses, le Château singulier, une partie des contes de D’un Pays lointain, et jusqu’à un certain point les Litanies de la Rose et Fleurs de jadis. Parallèlement à ces oeuvres savantes, recherchées, précieuses, à la fois voluptueuses et ésotériques, blasphématoires par instants, et d’une lecture certes qui n’est point pour les petites filles, il écrivait ses premiers essais de critique : l’Idéalisme, la Poésie populaire, enfin ce Livre des Masques qui contient le portrait (souvent définitif en quelques pages) de chacun des écrivains du symbolisme, ses camarades de lutte littéraire, alors si discutés, dont certains depuis sont devenus avec lui nos maîtres.
Par le choix des sujets toujours exceptionnels, toujours choisis aux confins extrêmes de la vie, “légendaires et à demi irréels, par le raffinement du détail, par l’écriture très vite et de plus en plus dégagée des influences indéniables de Villiers, de Mallarmé et même du style si je puis dire ambiant, du style à la mode, par l’accent surtout, à la fois langoureux et mordant, insinuant et détaché, toutes ces œuvres, de genres si divers, révèlent les tendances essentielles de l’esprit de leur auteur, qui coïncident si parfaitement avec celles du moment aristocratisme, mépris des foules, horreur des formules et surtout de la formule sentimentale et de la formule naturaliste, amour du rare et du mystérieux, fut-ce au prix de l’obscurité, effort pour tout transposer sur le plan de l’allusion et de l’allégorie toutes tendances que signifie et synthétise le terme de symbolisme. Le symbolisme, qui dura si peu à l’état pur, et qui subit si vite tant d’altérations, avait ceci d’indiscutable et de permanent qu’il était l’exacte expression esthétique d’une doctrine philosophique l’idéalisme. De même que la nature est le reflet de l’idée créatrice, l’art est le reflet de la vie intérieure de l’homme, sa visible allusion à la fois générale comme un concept et individuelle comme une confession.
L’art supérieur, selon la belle parole de M. Paul Adam, est l’oeuvre d’inscrire un dogme dans un symbole. Remplacez dogme par idée, et vous avez la doctrine de Rémy de Gourmont et celle de tout le symbolisme. Encore faut-il, pour faire ici œuvre valable, renouveler au moins la forme, et que les images neuves et vivantes, inventées par un cerveau créateur, ne se cristallisent point en poncifs et en formules. C’est ce qui arriva malheureusement pour le symbolisme de puissants motifs de charme et de suggestion finirent par se changer en accessoires allégoriques. Rémy de Gourmont ne se prêta que peu de temps à ces jeux un peu puérils, préoccupé de quelque chose de plus significatif qui était de mettre dans ces symboles de plus en plus de vie et de pensée en même temps. Il y avait une disposition si naturelle que ses personnages, non seulement ne sont pas des marionnettes de l’abstraction, mais vivent d’une vie intense, parfois forcenée.

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Je voudrais tout Spécialement m’arrêter sur un livre que, dans son œuvre, on ne semble pas considérer comme plus important que ses autres romans et que l’auteur lui-même, l’ayant écrit pour se délasser de son lourd et constant travail d’érudition, jugeait peut-être également avec cette négligence. Mais c’est un livre au contraire significatif, en ce sens qu’il est placé entre la série juvénile que nous venons d’examiner et celle qui va suivre un peu comme le testament philosophique et esthétique du passé et le programme de l’avenir. Œuvre de transition, traversée de tous les courants. L’écrivain est alors dans sa quarantième année, en possession de toute sa force intellectuelle, agile et sûr au milieu de l’univers qu’il s’est créé. Ses confidences seront précieuses. Je veux parler des Chevaux de Diomède.
Sous ce titre légèrement énigmatique, Rémy de Gourmont a esquissé la monographie d’un jeune homme absolument libre, sensible, intelligent, subtil, qui se promène dans la vie parmi tous les plaisirs du rêve, de l’amour, de la pensée, avec une nonchalance que corrige seule la volonté de ne se point livrer, afin de mieux rester prêt à toute aventure. Mais peu à peu, et sans que rien d’extérieur soit intervenu, par le simple jeu de la vie, c’est-à-dire parce que certaines pensées et certaines volontés se sont réalisées en actes, bref, parce qu’il n’est pas resté prudemment sur le seuil du désir (4), le charme de toutes les choses auxquelles Diomède n’a pas voulu se prêter se ternit autour de lui. Il reste libre c’est vrai, mais seul, dans un monde dépouillé. Un tel sujet n’est déjà point banal son originalité s’accentue encore de la façon dont il est traité, de l’esprit qui l’anime, de l’atmosphère de méditation où il baigne. Dès la préface, on est fixé.

On trouvera en ce livre, qui est un petit roman d’aventures possibles, la pensée, l’acte, le songe, la sensualité exposés sur le même plan et analysés avec une pareille bonne volonté. C’est que, décidément, l’homme est un tout où l’analyse retrouve mal la dualité antique de l’âme et du corps. L’âme est un mode, et le corps est un mode, mais indistincts et fondus ; l’âme est corporelle, et le corps est spirituel.

Ce qui importe donc, dans cette série « d’aventures possibles », c’est, malgré le charme avec lequel elles sont décrites, moins elles-mêmes que le commentaire qu’en fait pas à pas le héros, au fur et à mesure qu’il avance parmi leur vivante surprise, c’est moins elles-mêmes que leur répercussion dans son esprit. « Veritas in dicto, non in re consistit  », affirme, en épigraphe, la maxime de Hobbes, qui est renonciation même de l’idéalisme absolu. Aussi, avec une subtilité vraiment unique, l’auteur y brouille les routes évidentes de la pensée et de l’action avec les sentiers irréels du désir et du rêve. Diomède n’a point de rendez-vous qu’avec l’ingénue et sensuelle Fanette, la perverse Mauve ou la vierge et splendide Niobelle, il attend aussi Christine, « frêle, muette et lumineuse », celle qui n’existe pas, mais que lui imagine et voit aussi nettement que si elle était présente, à tel point qu’il peut, sans presque mentir, en parler avec son ami Pascase. Celui-ci offre avec le subtil Diomède un contraste absolu.
« Intelligence farouche et têtue, cœur obscur et sentimental, logique effrénée, nulle souplesse », il représente l’opinion moyenne, telle qu’elle est vraiment, à la fois incertaine et violente. Rien de plus exquis que ces conversations où, à seulement développer l’absurdité de la simplesse de Pascase, Diomède découvre mille vérités rares, difficiles, dangereuses, à la stupeur irritée de l’interlocuteur (5), II faut lire ces entretiens, sortes de monologues interrompus où le héros, qui parfois semble se perdre à la poursuite de quelque fuyante analogie, retrouve tout à coup et comme sans y prendre garde l’endroit où l’autre ne l’attendait plus et se plante devant lui, ironique.

Voilà, je sais toujours parfaitement ce que je veux dire et. d’images en images, comme on change de cheval et non de route, j’arrive à l’auberge.

Je connais peu de romans aussi riches en significations intellectuelles, ni de style aussi séduisant. Rémy de Gourmont tout entier s’y livre, avec l’univers si complet de sa sensibilité savant et épris d’une ignorance purificatrice, sceptique et connaissant la douceur léthéenne de la foi, parlant avec un accent aussi persuasif de l’ascétisme et de la volupté, de l’abandon de toutes choses et de la maîtrise de soi, paradoxal dans ses prémisses, mais très simple et même volontiers axiomatique dans ses conclusions, se sentant fraternel et cordial aux hommes, mais méprisant, d’un haut dédain d’aristocrate, ce qu’il appelle « la plèbe intellectuelle et le troupeau sentimental » ; et sur toutes choses passionnément épris de sincérité. « Où le mensonge a passé, déclare Diomède fièrement, je ne mets pas les pieds. » Et c’est cette sincérité devant soi-même et devant l’univers qui justifiera et résoudra chez lui toutes contradictions, d’ailleurs plutôt formelles que réelles. Si Rémy de Gourmont a tellement accablé de ses railleries les hypocrites, c’est parce qu’il voyait en eux les seuls adversaires vrais de l’unique liberté qui compte celle de penser.
” Les Chevaux de Diomède” sont un livre de transition où le poète symboliste, par d’insensibles mouvements, se transmue en un écrivain plus mûr, plus pensif et en même temps plus vivant. Il contient en germe pour ainsi dire toute l’œuvre future du styliste, du critique des mœurs, du conteur, du grammairien, du philosophe. Pour la commodité de l’examen, nous envisagerons à part les témoignages de ces activités si diverses, non sans faire d’avance observer ce qu’une telle méthode comporte fatalement d’artificiel et d’approximatif, lorsqu’il s’agit d’un homme aussi nuancé que Rémy de Gourmont, que l’on retrouve entier en chacun de ses livres, aussi concret et sensible dans un ouvrage de philologie que subjectif et capable d’abstraction dans un roman ou un poème. Un tact souverainement délicat varie seul le dosage, selon les exigences du genre.

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Ce qu’il y a de plus intéressant à observer, c’est la vie, la vie elle-même, sous sa forme la plus directe et la plus fraîche : l’actualité. A condition, bien entendu, de savoir la regarder. Ce qui rend si morne la lecture des « brillants chroniqueurs, dans le genre moral comme dans le genre frivole, c’est l’automatisme de leurs méthodes. Ils ont des formules de jugement toutes faites, qu’ils appliquent sur les événements, un jeu de conclusions tout prêt. Les plus indépendants en apparence obéissent, à leur insu parfois, aux préjugés d’une caste, d’un dogme, toujours à ceux du mensonge social. Et toujours cela leur cache une partie de la vérité la plus secrète. Dès 1895, Rémy de Gourmont commença au Mercure de France la fameuse série de ses Épilogues (de toutes ses œuvres la plus connue), où il examinait les événements de tout ordre, en complète indépendance d’esprit, avec de l’opinion un. dédain si total qu’il en pouvait quelquefois paraître agressif. On sait combien se flétrissent vite d’habitude ces couronnes de feuillages déposées sur le tombeau du jour passé. Eh bien chez Rémy de Gourmont, rien de tel. Au contraire. Tout le monde demeura étonné de la rapidité et de l’aisance avec laquelle, cet érudit, ce poète, ce conteur aux imaginations précieuses s’adapta au genre nouveau qu’il avait choisi, s’y révéla un connaisseur infaillible de la vie quotidienne, dans ses nuances les plus fugitives. Et l’on peut relire aujourd’hui les plus anciennes de ces pages, elles n’ont rien perdu de leur verdeur, de leur intérêt. C’est que l’auteur n’a jamais écrit pour le simple plaisir d’amuser le public en fignolant un « morceau », mais pour dire quelque chose, élevant de misérables anecdotes, aujourd’hui parfaitement oubliées, à un plan supérieur où se dégage leur signification durable. Tout cela certes, non sans railleries, parfois féroces, avec un esprit merveilleux, une imagination d’artiste unie à un comique puissant. C’est toujours Diomède qui prend à parti Pascase le « catéchumène », et s’acharne sur ses illusions. Si vous ajoutez à cela une irréligion absolue, parfois persiflante, vous comprendrez qu’on ait souvent eu l’idée de le comparer à Voltaire. L’analogie n’est qu’apparente. Voltaire, en effet, aride et sans tendresse humaine, ricane sans cesse, et cela lui suffit. Il n’y a rien de profond ni de vivant en lui. C’est un homme d’esprit du XVIIIe siècle. Rémy de Gourmont au contraire, passionné de la liberté, ne raille guère au fond que ceux qui veulent la restreindre, les considérant comme des criminels sans rémission. Sensualiste et amoraliste, il ne voit pour l’humanité que la terre, il ne veut donc ni qu’on y ajourne son bonheur, ni qu’on le limite. Toute sa verve (elle est inépuisable, mais loin de toujours rire, elle prend parfois un accent très grave, et indigné, et douloureux) se dépense à montrer qu’un peu de bonne volonté, moins de sottise et d’obstination suffiraient à l’assurer, ce bonheur, relatif certes, mais le seul attingible : la liberté des mœurs. Il frappe et déboulonne nos idoles, les idoles verbales et niaises de la démocratie la vertu (bien bonne pour les faibles, selon l’avis des puissants, qui s’en passent), la philanthropie, « l’horrible manie de la certitude », le progrès, la science, les droits de l’homme, etc., tous ces masques derrière lesquels, si l’on se penche un peu, l’on voit ricaner le visage cynique de la nécessité sociale. Ah ! nous sommes loin de Voltaire. Passionné, ardent, implacable, tout pareil à Nietzsche, qu’il ne découvrit d’ailleurs qu’une fois en pleine possession de sa pensée, et chez qui donc il ne trouva, au lieu d’une révélation comme on l’a dit, qu’une confirmation éclatante et lyrique de ses propres idées, Rémy de Gourmont se fit, à l’occasion du petit fait de la semaine, l’historien de notre sottise. Au fond, bien au fond de cet acharnement, je devine la pitié, l’indulgence (un peu méprisante), je ne sais quelle bonté supérieure émanée de la sagesse. Toujours comme dans Nietzsche, chez qui certains veulent voir aujourd’hui, si inexplicablement, un théoricien de la force brutale, un précurseur de la « Veltpolitik ».
Il convient d’ajouter aux Épilogues proprement dits les Dialogues des Amateurs. C’est toujours le même art et la même pensée, mais la courbe suivie s’infléchit de plus en plus vers un désenchantement analogue à celui que l’on voit transparaître dans Bouvard et Pécuchet. Je ne le nie point. Mais je me refuse de croire que Gourmont s’y soit complu (6). Rien n’était en effet si opposé à sa nature que cet état négatif qu’il semble prêter parfois à M. Delarue et à M. Desmaisons, ses protagonistes. Tout ce que l’on peut dire c’est que, peu à peu convaincu de l’inutilité de tout effort pour corriger les hommes de ce qu’il considérait comme leurs seules fautes l’hypocrisie, la paresse d’esprit, leur lâcheté devant toute tyrannie, il y a renoncé, mais sans se résigner. S’il était résigné, il n’aurait même plus de raillerie. Parallèlement lui est venue une indifférence plus calme encore, une tolérance plus large, bref, toujours nuancée d’aristocratique dédain, une sérénité plus philosophique.
Mais des vertes et vives diatribes de 1895 aux pages apaisées de 1910, pendant ces quinze années de critique de nos mœurs, il n’a cessé d’appliquer dans ce même esprit la même méthode. Et cette méthode, il l’a découverte, il en a donné la théorie c’est la dissociation des idées, moyen unique de se refaire une ingénuité spirituelle.
Nous vivons en effet dans un monde de notions si cristallisées, si ossifiées, qu’il faut, pour retrouver les éléments primitifs, les cellules vivantes de ces êtres artificiels, une puissance énorme de destruction et une aptitude non moins grande à tout réédifier suivant des rapports neufs, inattendus, mettant en évidence des analogies inobservées.

Je me suis demandé (dit-il déjà en 1901 (7)), si j’étais capable de me conduire dans la vie et surtout de la juger comme si je ne savais rien, comme si mon intelligence ne s’était jamais arrêtée qu’aux choses pratiques, aux faits vus par mes yeux, sentis par tous mes sens ? Je ne l’espère pas, mais j’y tâche, et je crois que c’est la seule méthode digne d’un esprit qui se veut libre traiter tous les sujets comme si on les rencontrait pour la première fois n’accepter aucune opinion toute faite être celui qui s’instruit à mesure, qu’il regarde dissocier les idées et les actes n’être dupe d’aucune construction la mettre aussitôt en morceaux n’avoir aucune croyance.

On a reproché à Rémy de Gourmont son acharnement à démontrer l’infirmité de notre nature, la persistance de nos erreurs, enfin le caractère inéluctable, décourageant, de la bêtise humaine et certains même ont été jusqu’à prétendre discerner quelque chose de pervers dans cette attitude. Point de vue faux, comme tous ceux qui s’attachent à un détail et refusent d’embrasser l’ensemble. En réalité, des gens de parti lui en ont voulu des sarcasmes dont il avait écrase leur prétention à annexer pour eux seuls la vérité, ils ne lui ont point pardonné son scepticisme. Mais entre eux et lui nulle hésitation n’est possible. Ils subordonnent la réalité à leur théorie. toujours plus ou moins utilitaire, et précaire Gourmont a subordonné les théories à la réalité. Et pour être plus libre de ses mouvements, il a rejeté toute doctrine.

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Ce ne sont pas seulement les mœurs du moment qu’il a critiquées, mais, parce qu’il avait le sens de l’histoire, celles de tous les temps, et non pas seulement les mœurs. mais tout ce qui peut entrer dans le champ de la vision du philosophe, tout ce qui est vivant. Il est, par excellence, le critique. Et par ce terme je n’entends point le pédant, plus ou moins armé d’érudition, classant les productions de l’esprit au nom d’un goût une fois pour toutes fixé (c’est si commode !), mais l’homme cultivé et sensible qui, pour les mieux faire comprendre, les examine dans leur origine, en les dégageant de toutes les significations adventices qui leur furent données au cours des âges. C’est cette incessante révision des valeurs que Rémy de Gourmont a tentée, dans tous les domaines, et qui nous a valu Physique de l’Amour et la Culture des Idées, le Chemin de Velours, l’Esthétique de la Langue française et le Problème du Style, trois volumes de Promenades philosophiques et cinq volumes de Promenades littéraires (8), une véritable encyclopédie.
Elevée à la hauteur d’un principe rationnel de recherches, la dissociation des idées y reste son instrument favori. Admirable instrument d’ailleurs, soc irrésistible pour retourner la glèbe inerte de l’intelligence, l’aérer, en refaire un sol vierge. prêt aux fécondations nouvelles.
Qu’est-ce en effet que Physique de l’Amour, cet essai sur l’instinct sexuel chez les animaux ? sinon, en grande partie, une dissociation de l’idée d’instinct d’avec l’idée d’activité aveugle. L’observateur (9) en une série de cas judicieusement choisis et significatifs, montre que, au moment de se manifester dans l’acte le plus élevé qui soit permis à sa vie, l’animal fait preuve d’un discernement, d’une ingéniosité et d’une volonté telles qu’il faut bien lui reconnaître dès lors une faculté cérébrale infiniment plus rapprochée de notre intelligence que de l’automatique et fatal instinct. Cette conclusion, loin de briser la certitude déterministe de l’auteur, la renforce au contraire, en ce sens qu’elle le confirme dans sa croyance en l’unité de la nature. L’intelligence, moins abstraite qu’on ne le pense, et l’instinct, moins rigoureux qu’on ne l’imagine, tendent à se rapprocher, à se confondre en une seule et même puissance vitale.
Qu’est-ce que la Culture des idées (10) ? sinon une série d’études entreprises, semble-t-il, dans l’ivresse de la découverte, pour essayer la théorie nouvelle et prouver son excellence ? Je me souviens entre autres de l’essai particulièrement curieux Le Succès et l’Idée de Beauté, qui contient des pages d’une audace intellectuelle étonnante sur l’origine amoureuse de la sensation esthétique : à qui les lit avec ingénuité, elles ne donnent nullement l’impression du paradoxe ; elles sont, malgré la souplesse de leur développement, d’une déduction rigoureuse. Ou a d’ailleurs remarqué parfois pour lui en faire un grief la tendance qu’avait Gourmont à chercher à tout objet de la connaissance, fût-il abstrait, des analogies avec les choses de l’amour, envisagées dans un esprit de liberté absolu. Il ne faut voir là cependant que la preuve du tact avec lequel il se mouvait dans sa propre imagination, la plus concrète qui fùt tout est vivant en effet, mais d’une vie plus ou moins active, ou ralentie, et c’est dans l’amour que s’exaltent, à un degré suprême et suivant tous leurs aspects, les forces de la vie : il est le microcosme où se retrouve l’image réduite et concentrée de la nature universelle.
Qu’est-ce que le Chemin de Velours ? sinon la réassociation de l’idée casuiste avec l’idée homme de bon sens. On a dit tant de sottises sur les Jésuites que cet irréligieux lui-même, qui ne semble pourtant pas éprouver envers eux une grande dilection, en a été agacé. Et il montre comment toute leur morale tant décriée pour la prétendue lâcheté de ses accommodements, n’est au fond qu’une tentative d’adoucir, avec un sens profondément psychologique de la nature humaine, la rigueur de la loi religieuse qui la veut réduire. Et il trouve, pour les définir, cette expression admirable « Ils furent, dans le siècle, quelque chose comme le médiateur plastique de la vieille philosophie. » A ceux qui, distraits par la verve, l’esprit et l’ironie de cette étude de quatre-vingts pages, voudraient y voir un paradoxe, faisons observer qu’elle suppose la lecture, assimilée, d’une énorme bibliothèque théologique. Tel bref portrait de dix lignes résume dix in-folios.
Enfin on pourrait considérer les huit volumes des Promenades, globalement comme une liste de révision des valeurs philosophiques et littéraires établies par les pédants. Avec l’écrivain s’avance-t-il dans le temple, abattant ici une statue dont on voit qu’elle était creuse, malgré ses proportions démesurées, remettant là sur son socle telle figurine oubliée, d’un métal pur et de modelé délicat! Et il n’y met nul esprit de contradiction. Simplement, devant les phénomènes littéraires comme devant tous les autres, s’est-il placé avec l’ingénuité d’un être libre, se dépouillant de tous les préjugés accumulés au cours des âges par la paresse, l’obéissance, l’intérêt. Et comme il n’a rien à ménager, il dira tout crûment que Manon Lescaut est ennuyeuse et Alfred de Vigny pompeux et faux, alors que Guillaume de Machaut est un pur et doux poète quoique nous l’ignorions, parce qu’il vécut au XIVe siècle, et Gongorà un grand lyrique, quoique son nom soit devenu le synonyme de la boursouflure et de la préciosité. Presque partout, à l’origine de toutes ces perversions de la sensibilité, il dénonce la main perfide et niaise de cet être abominable : l’écrivain qui ne sait pas écrire, et qui hait tout ce qui apparaît sous une forme neuve, inattendue, vivante.
L’accroissement constant de son érudition (il ne cessa pas un jour de travailler, et il était devenu un des hommes les plus savants de ce temps), loin de le stériliser, ne lui a servi qu’à trouver davantage de points de vue originaux, qu’à multiplier le répertoire déjà si riche de ses analogies. Il suffit d’ouvrir un de ses livres à n’importe quelle page pour être surpris de l’aisance avec laquelle il circule à travers le nombre et la diversité de ses connaissances. Il s’en sert avec maîtrise, comme de preuves ou comme d’images (souvent les deux ensemble) sans jamais qu’apparaisse la moindre lassitude.
« Le peuple des hommes, a-t-il écrit (11), ne pense que des pensées déjà exhalées. » Mais lui, au contraire, a mis tout son amour-propre d’artiste à ne jamais répéter une chose trop admise, et c’est pour cela peut-être qu’on lui a reproché son goût du paradoxe. Il ne l’avait nullement. Le paradoxal est un homme qui joue sur les mots plutôt qu’avec les idées. Il lui est indifférent d’habiller une pensée banale et usée pourvu qu’il lui trouve un vêtement brillant et inédit. Avoir étonné lui suffit. Rémy de Gourmont au contraire est bien trop courtois et mesuré pour vouloir étonner. Il ne chercher qu’à être sincère vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de ce qu’il considère : êtres ou choses, livres, faits, sentiments. Il dit alors ce qu’il a vu. Mais telle en est la valeur et la nouveauté, et la force de son style qu’on a l’impression d’une chose absolument inattendue, qui d’abord déconcerte. Toute son oeuvre est peut-être, en dernière analyse, une série de dissociations découvertes par sa patience.

***
Dès ses premiers ouvrages, Rémy de Gourmont avait manifesté pour les mots, pour les mots considérés en eux-mêmes indépendamment de l’idée qu’ils représentent, un amour particulier, ranimé jusqu’à la bizarrerie. N’avait-il pas été jusqu’à écrire :

Les mots m’ont peut-être donné de plus nombreuses joies que les idées et de plus décisives joies prosternantes parfois, comme d’un Boër qui, paissant ses moutons, trouverait une émeraude pointant bon sourire vert dans les rocailles du sol - joies aussi d’émotion enfantine, de fillette qui fait joujou avec les diamants de sa mère, d’un fol qui se grise au son des ferlins clos en son hochet. – car le mot n’est qu’un mot je le sais, et que l’idée n’est qu’une image.
Ce rien, le mot, est pourtant le substratum de toute pensée il en est la nécessite il en est aussi la forme, et la couleur, et l’odeur il en est le véhicule…
(…) Mais ce n’est pas pour cela que j’aime les mots je les aime eu eux mêmes, pour leur esthétique personnelle, dont la rareté est un des éléments la sonorité en est un autre. Le mot a encore une forme déterminée par les consonnes; un parfum, mais difficilement perçu vu l’infirmité de nos sens Imaginatifs (12).

Cette dilection d’écrivain symboliste, au lieu de se perdre plus tard au profit de je ne sais quel « dépouillement classique qui n’équivaut en réalité qu’à la sécheresse, se renforça au contraire, en devenant raisonnée. Les études qu’il fit plus tard en philologie romane, en linguistique générale, en sémantique, en phonétique approfondirent ce sentiment premier. Encore une fois le poète avait eu l’intuition de ce que le philologue devait prouver à savoir la beauté physique des mots, indépendamment de tout autre point de vue. Plus il examinait ce problème, en amoureux de la langue française, plus cette question du mot, du mot pur, lui apparaissait essentielle. Le mot est en effet l’élément dernier, irréductible, suprême. Il est l’atome, et comme tel, il entre dans les constructions les plus harmonieuses et les plus vastes du langage on l’y reconnaît comme le grain de la pierre dans l’immense cathédrale. Il y a donc, pour tout esprit sensé qui comprend l’importance de l’intégrité d’une langue, - par exemple ici le français, - une nécessité vitale à ce que les mots restent purs, c’est-à-dire formés par le génie phonétique même de la race. L’Esthétique de la Langue française est tout entière sortie de cette préoccupation, et c’est un ouvrage que tout bon Français devrait avoir lu facile à lire et pittoresque comme un recueil de contes ou d’anecdotes, il contient une somme d’érudition très vaste et surtout atteste un bon sens, une justesse de vues, un goût d’une certitude absolue, il respire un amour éclairé et à la fois jaloux de l’intégrité de notre langue, de sa tradition vraie. Ce n’est point un mince mérite, en une époque aussi furieusement utilitaire, et si ennemie des études classiques, que d’avoir montré le rôle irremplaçable joué par le latin dans la formation de nos mots, et comment tous ceux qui entrent désormais dans le vocabulaire sans avoir passé par ce filtre y pénètrent par effraction et risquent à la longue d’altérer notre pensée même. Opinion qui me semble avoir trouvé sa forme définitive dans un passage des Epilogues.

Il est inexact de dire que le français est dérivé du latin. Le français est du latin modelé par la vie. Nous parlons latin. C’est par des changements imperceptibles que, d’année en année, au cours des siècles le latin est devenu le français d’aujourd’hui. Apprendre le latin, c’est remonter à la plus ancienne forme connue de la langue que nous parlons maintenant, ce n’est pas apprendre une autre langue (13).

En même temps que le philologue se livrait à ce travail patient et savant, l’artiste, dans le Problème du Style et dans quelques autres essais, raillait de façon impitoyable quoique légère les naïfs professeurs qui parlaient d’enseigner l’art d’écrire comme on enseigne les convenances ou le jeu de dominos. Et ce subtil, à qui nul objet complexe ne semblait pouvoir dérober ses éléments premiers, s’offre le délicat plaisir, ayant analysé d’aussi près que possible et de plus près que personne autre les alliages de quelques-uns de nos grands écrivains, de montrer que tous ces procédés ne servent qu’à rendre plus sensible, l’ayant plus étroitement isolée, l’existence d’une sorte d’alchimie, où agit seule l’inconnaissable force du subconscient, l’inspiration.

***
Quelque importants qu’ils fussent en eux-mêmes et par l’énorme préparation documentaire qu’ils supposent, ces nombreux essais ne suffirent pas à absorber toute l’activité de Rémy de Gourmont, qui semblait inépuisable. Il en restait encore assez pour la consacrer à des œuvres de moindre envergure, mais non moins parfaites romans, contes et poèmes, et qui, à elles seules, auraient rendu célèbre l’écrivain qui s’en fût tenu là. C’est que Gourmont s’y abandonne, sans autre modérateur que son goût instinctif, qui est d’une étonnante sûreté, à toutes les fantaisies de son imagination, et notamment au plaisir de s’enchanter par de belles phrases, subtiles, insinuantes, harmonieuses. Il ne faut pas chercher dans ces livres ce qu’on a l’habitude de trouver dans les romans proprement dits c’est-à-dire une intrigue facile à suivre, des caractères assez décisivement tracés pour être reconnus tout de suite, de la psychologie de tout repos. Ce sont, au contraire, comme dans les Chevaux de Diomède, des caractères d’exception, des psychologies ramnées, des aventures moins réelles que possibles. Rémy de Gourmont a toujours eu un goût de solitaire pour tout ce qui est rare, inédit, tout ce qui se tient à l’écart, ce qui s’exprime à peine. Certes, le Songe d’une Femme et surtout Un Coeur virginal sont transposés sur un registre moins haut que les Chevaux de Diomède. Ils ont une apparence plus moderne, plus familière aussi, et le sentiment exquis de la nature qui s’y manifeste y fait circuler comme l’air d’une atmosphère plus accessible que naguère. N’importe, l’ensemble reste distant, fermé, aristocratique. C’est un mets pour les très délicats.
Quant à Une Nuit au Luxembourg, il est difficile d’imaginer quelque chose de si parfaitement réussi, harmonieux, juste de ton. C’est une « légende sceptique » aux allures de rêve, un conte philosophique qui se déroule dans une lumière d’Élysée. Il y a de la magie vraiment dans ces insinuations de pensées, dans ces causeries troubles et troublantes, dans cette sérénité, dans cette indécision où nous sommes laissés, soulevés à demi du sol du réel. C’est un chef-d’œuvre.
Les poésies proprement dites de Rémy de Gourmont tiennent dans un seul recueil Divertissements, embrassant une période de plus de vingt années. C’est assez dire que l’écrivain ne composa de vers que vraiment sous la pression des circonstances, inspiré par un beau jour, une rencontre agréable, un air de musique, on ne sait quoi. Mais il n’y faut voir cependant, tellement ces confidences sont enveloppées dans les triples voiles de l’allusion, du symbole, des préciosités rythmiques, que les jeux, parfois ‘ravissants, d’un virtuose pour qui la poésie est surtout une évocation d’états d’âme. impondérables, par les mots, par le seul magnétisme des mots. D’ailleurs, il est plus à son aise dans la forme du poème en prose, et il y est, si je puis dire, plus poète.
Enfin, je n’omets point de citer Couleurs, cette série de contes dont chacun réalise, par le choix des images employées, l’accent de la phrase, je ne sais quelle suggestion encore, une « sorte de rythme » particulier, évocateur d’une « couleur locale » une fois posée blanc, jaune, violet, etc. Le rythme ! Toute la question n’est-elle pas là, en effet, pour un styliste-né ? Rémy de Gourmont en savait l’importance essentielle, vitale, dans l’élaboration de l’oeuvre d’art, lui qui a écrit, dans la préface de Couleurs, précisément :

Il n’est point d’art inférieur. Un article peut être un poème, dès qu’on lui a assigné le rythme sur lequel il déroulera sa brève pavane. Le rythme trouvé, tout est trouvé, car l’idée s’incorpore a son mouvement, et le peloton de fil ou de soie se forme sans que la conscience d’un travail soit quasi intervenue.

Peut-on donner plus juste et plus ingénieuse solution du « problème du style » ? C’est que Gourmont est un grand styliste.

***
Quel que soit en effet son talent de poète, de conteur, de romancier, de philologue, de critique, ce que l’on admire le plus en Rémy de Gourmont c’est la qualité de son style. Et avec juste raison. Car on acquiert bien des choses, et on peut imiter bien des manières, mais on ne se fait pas un style. On l’a tout de suite. Dès ses tout premiers ouvrages, les plus perspicaces devinèrent quel maître serait Gourmont. Il ne faut pas être dupe ici de certaines formules précieuses, contournées, obscures, sacrifice aux modes du moment, mais bien plutôt admirer au contraire avec quelle rapidité la syntaxe, robuste et vivante, dégage sa souple ligne latine des oripeaux brillants qui la voilent. Dès Lilith elle est nue, parfaite et classique. Je l’ai dite latine expressément, et non française, parce que Gourmont fut, avec Mallarmé et quelques autres, un des écrivains les plus attachés à redonner à la phrase analytique française, dans la mesure oit s’y prêtait son génie, la flexible articulation l’attaque mordante par l’inversion, les retours, tout l’onduleux de la phrase synthétique latine.
La propriété des termes n’a pas de secret pour lui : jamais un mot blafard, inexpressif, ou de douteuse formation ne vient ternir la netteté du discours, qui supporte aisément la double épreuve de la lecture et de la méditation. L’expression adhère à la pensée avec une apparence d’exactitude absolue, encore renforcée par l’allure décidée de la phrase elle-même, qui jamais ne traîne, perdue à la recherche d’une image. Gourmont sait toujours parfaitement ce qu’il veut dire, et ses plus longs circuits, lorsqu’il semble oublier son but, ne l’y ramènent qu’avec plus de force. Si cela ne devait m’entraîner trop loin, j’aimerais montrer que dans ce style ou « l’idée s’incorpore si étroitement « à son mouvement », comme dans les cellules de ce cerveau si sensible, ce sont les images qui sont maîtresses ; et montrer aussi comment elles imposent à la phrase qui les exprime le rythme infiniment délié de leurs associations subtiles, de leurs fuyantes analogies, et comment à leur tour elles subissent l’influence du mouvement ainsi créé par elles. Ce sont choses que l’on vérifie aisément à la lecture, mais dont l’analyse gâterait le plaisir qu’elles donnent. Un artiste comme Rémy de Gourmont est extraordinairement sensible à ces réactions aux réciprocités infinies, et c’est merveille comme son écriture, classique et lucide s’est prêtée à en exprimer les nuances, qui eussent plutôt semblé du domaine de l’écriture compliquée. Mais toutes ces explications n’expliquent pas l’essentiel. Il rayonne autour des mots, autour des phrases comme une atmosphère invisible, un enchantement que l’on subit avec douceur et qui dérobe toujours son secret lorsqu’on croit l’avoir saisi. C’est une harmonie à la fois intellectuelle et musicale, je ne sais quoi, qui force à dire que le style de Gourmont est d’un magicien.

***
Les dernières années de sa vie, il travaillait avec la même abondance, la même sérénité, le même talent. Que dis-je ? Il semblait qu’il se fût renouvelé. Pour écrire la série des Lettres à l’Amazone, il avait retrouvé le juvénile génie qui inspira les Chevaux de Diomède. Ce recueil épistolaire n’est rien de moins qu’un chef-d’œuvre de pénétration et de sensible intelligence sur les choses de l’amour. Je n’hésite pas à placer le fameux traité de Stendhal au-dessous de cette merveille d’acuité psychologique et de divination poétique. Jamais personne ne s’est aventuré si avant dans l’analyse de ces sentiments inextricables, où l’artifice se mêle à la nature, que, dans un cœur d’homme civilisé, on appelle sommairement l’amour. Jamais on n’avait encore si exactement et ingénieusement démonté ce mécanisme enchevêtré de velléités, de désirs, de pensées, de souvenirs, de rêves. Tout semble gros, approximatif et vague en comparaison.

Quand nous croyons aimer un autre être, c’est nous-même que nous aimons. Et comme cet autre être subit la même illusion vis-à-vis de nous, les deux amants, en croyant se donner, en croyant se prendre, ne font que se prendre à eux-mêmes pour se donner à leur propre égoïsme. Découvrons cette vérité méconnue qu’on n’aime que soi, qu’on n’aime que l’idée qu’on se fait de soi vu par l’être que l’on désire. (…) C’est peut-être la base psychique de l’amour que cette rénovation de soi-même par l’amant. Nous ne nous reconnaissons bien que là, dans ces yeux qui nous désirent, car nous ne pouvons nous connaître directement. Le creux de notre conscience n’est pas un meilleur miroir que le creux de notre main. Mais les yeux, quel miroir Et pour que notre image lui revienne favorable, comme l’amant sait la parer, pour qu’elle lui plaise et plaise aux yeux où il la dépose Je ne parle pas de la simple image physique, de l’image d’apparence, mais de cette autre image, plus riche et plus totale, qui renferme aussi nos gestes et nos paroles, nos sourires et nos intentions, nos regards et nos rêves, de cette image mobile dont les minutes ne se ressemblent pas. Elle est nous-même et elle est l’image de ce que nous croyons lire dans des yeux qui ont lu notre âme dans nos yeux. Vous voyez le jeu de glaces, Amazone aux regards subtils 1. On ne peut savoir où commencent les rayons, ce qu’ils apportent et ce qu’ils remportent, le jeu est inextricable et nous sommes, au même moment, le Pygmalion d’une statue et la statue d’un Pygmalion. (Lettres à l’Amazone : Soi-même”.)

Vous voyez le jeu de glaces… Toute la série est sur ce ton. Pourtant, même dans l’extrême ténuité du raffinement, même dans les digressions les plus audacieuses de la cérébralité, Gourmont reste simple, sincère, familier même. Oui, familier. Il nomme toutes choses par leur nom, il ne s’effare de rien. Et il semble qu’il soit demeuré, avec sa formidable culture, un adolescent qui regarde la vie, dans l’absolue ingénuité de son jeune désir.

***
Enfin, pour terminer cette étude, je dirai un mot de son œuvre suprême, parue à peine quelques semaines avant sa mort Pendant l’Orage. Ce sont des pages, écrites au jour le jour depuis la guerre, et toutes frémissantes de l’indignation éprouvée en face du crime allemand. Gourmont nous dit l’angoisse d’une vie désormais sans but, d’un passé qui n’a plus de sens, de tant de choses aimées disparues, privées de leur couleur. Ecoutez cet aveu terrible et émouvant :

FANTOME
II y a entre ma vie présente et le passé un rideau de brouillard que d’un geste je m’efforce parfois de dissiper un instant. Mais il est si épais que je parviens rarement à y creuser une étroite meurtrière par où je puisse, l’espace d’un éclair, apercevoir les choses d’autrefois. Je pourrais dire tout simplement, abandonnant une image trop difficile à bien préciser, que le passé, qu’hier encore je touchais, avec lequel je vivais sans effort, le rappelant vers moi d’un signe aussitôt obéi, ce passé sans lequel le présent n’a plus d’assise et chancelle, n’existe pas et, chose extraordinaire, n’a jamais existé. Alors, comment est-ce que je vis, puisque le présent dépend du passé, comme un fils dépend de son père ? Mais c’est bien simple, je ne vis pas, je ne suis qu’un fantôme qui flotte dans l’air sans consistance, sans formes précises, à l’état d’essai ou de résidu de vie. Ses efforts pour se relier aux choses et en prendre connaissance sont rarement heureux. Quand il croit s’être accroché à quelque souvenir, à quelque témoin d’hier, non encore pulvérisé, cette épave tout à coup échappe à ses doigts de fantôme et, fantôme elle-même, fond dans l’air épais, se répand en vapeur, en quelque chose de mou et de fluide, qui s’en va. Parfois ce pauvre être désemparé arrive à saisir un livre dans sa bibliothèque, un livre jadis aimé dont il se propose un grand plaisir, mais à mesure qu’il lit les pages de jadis, ce plaisir rancit, comme un parfum qui peu à peu tourne à l’aigre. Et les êtres qu’il rencontre lui disent, d’une voix d’au-delà « Nous sommes tous ainsi, tous nous avons pareille aventure, nous flottons et nous flotterons, fantômes, éternellement. » C’est un cauchemar, assurément, un cauchemar. Je me réveillerai, car il faut que je me réveille.

Hélas ! il ne s’est point réveillé. Mais la maladie qui l’emporta n’eût pas eu ce pouvoir si le coup porté auparavant n’avait pas été si rude. Dans tout ce livre pieux et grave se fait jour, avec une pudeur pathétique, un patriotisme d’autant plus pur qu’il n’avait jamais eu l’occasion de s’exprimer directement. C’est que Gourmont, comme tous les êtres très délicats, éprouvait une répugnance particulière à faire étalage de ses sentiments profonds. Il ne lui avait jamais semblé nécessaire de faire à sa patrie la déclaration publique d’un amour dont sa vie même et son labeur énorme étaient la preuve quotidienne et silencieuse. Artiste il servit la langue et philosophe, la pensée du cher pays de France.
Il ne faut pas omettre d’ailleurs que, à mesure qu’il s’avançait dans la vie, Gourmont, sans prendre précisément parti dans les questions de la politique, s’y intéressait, et s’amusait à en débrouiller les problèmes. Ceux qui ont suivi sa collaboration proprement journalistique savent l’évolution qu’il avait accomplie dans cet ordre d’idées, et cela, bien entendu, sans rien renier de ses tendances d’humaniste et d’aristocrate. Et, quoique Pendant l’Orage soit un livre que les plus terribles des circonstances aient suscité, il est aussi l’aboutissement logique d’un mouvement de pensée très normal, et la preuve suprême, à défaut d’autres, que l’auteur ne fut nullement un abstracteur de quintessence, un égoïste penseur de tour d’ivoire, mais un vrai contemporain, fraternellement soucieux de nos joies et de nos angoisses. Et si j’avais à résumer d’un mot mon opinion, je dirais qu’en écrivant les Chevaux de Diomède, Le Chemin de Velours, les Épilogues, l’Esthétique de la langue française, Une Nuit au Luxembourg, la Culture des Idées, les Lettres à l’Amazone, Rémy de Gourmont a servi sa patrie à sa manière, qui n’est pas à la portée de tout le monde, en lui dédiant sans réserve son génie subtil, sa vie et toute son oeuvre quarante beaux livres chargés de pensée, de science et de rêve, dans une langue magique.



Francis de Miomandre


Notes
(1). Disons seulement que de son origine normande, à laquelle sans doute il devait le caractère si nettement, concret de son imagination, et ce sens puissant de la réalité, il n’était pas sans tirer quelque orgueil, bien légitime. Et n’oublions pas non plus de noter qu’il descendait d’une très vieille famille, lignée célèbre de gentilshommes imprimeurs, graveurs, artistes. II existe même une tradition qui la fait remonter jusqu’à un certain roi Gormon, prince de Danemark, aux temps lointains des invasions barbares. Sans remonter si haut, il convient de rappeler que Gilles de Gourmont imprima en France le premier livre en caractères grecs. Et l’on voit au Louvre une Nativité de Jean de Gourmont, peinture un peu froide de tonalités, mais d’une finesse de dessin et d’une ordonnance à la fois ingénue et subtile, qui en font une œuvre des plus curieuses.
(2). Mais il collaborait aussi, surtout dans ces dernières années, comme chroniqueur, à mainte publication d’esprit tout différent : le Temps, la Dépêche de Toulouse, La France, des journaux et des revues d’Amérique (Nord et Sud), d’Italie, de Grèce, d’Espagne, d’Allemagne, enfin à la Revue des Idées dont il était le directeur. Presque tous ses contes de D’un pays lointain ont paru dans le Journal entre 1892 et 1894. Comme on le voit, nul préjugé de tour d’ivoire ; une parfaite ouverture d’esprit au contraire. Son activité intellectuelle était immense, et c’était, entre mainte autre chose, un grand journaliste. Il partageait avec les encyclopédistes, auxquels il s’apparentait par bien des cotés, ce goût de toutes les entreprises qui touchent à l’exercice de l’intelligence.
(3) C’est Sixtine qui convient, je pense, de considérer comme ce premier ouvrage. Seule la curiosité du bibliophile peut s’intéresser aux huit volumes de vulgarisation scolaire qu’il publia entre 1882 et 1890, et même à Merlette, roman vraiment trop peu significatif.
(4) « Je me suis trompe. Ou ne peut rien dire dans la vie qui ne tombe en des oreilles maladroites, et des êtres se hâtent de travestir en actes vos pensées. Les pensées sont faites pour être pensées et non pour être agies. Action, tu n’es pas la soeur, tu es la fille du rêve, sa fille ridicule et déformée. Action, abstiens-toi d’écouter aux portes des cerveaux; trouve en toi-même, si tu en es capable, ton motif et ta justification.
« Toute idée qui se réalise, se réalise laide ou nulle. Il faut séparer les deux domaines. L’instinct guidera les actes et la pensée, délivrée de la crainte des déformations basses, s’épanouira libre et seule selon la beauté énorme de sa nature absolue. » (Les Chevaux de Diomède : Les pensées.)
(5) « Pasacasse cria :
« Vous détournez les mots de leur sens normal et véritable. C’est absurde. – Mais, reprit Diomède très doucement, je détourne les mots de leur cours, comme on détourne les rivières, pour les jeter à travers la stérilité des laudes, lit ou grêles et pâles, les idées fleurissent mal. Vos prairies sont inondées, les herbes pourrissent sous les eaux stagnantes ; laissez-moi donc arroser le sable et rendre au soleil les terres boueuses qui vous donnent la fièvre. » (Les Chevaux de Diomède : Les landes.)
(6) Je n’en veux pour preuve que les Lettres d’un Satyre, sorte d’intermède aux Dialogues des Amateurs, bouffonnerie exquise, d’un comique bizarre et impertinent, où rit a pleins éclats la libre joie païenne.
(7) Les Epilogues, 2e série, avril 1901 : L’Heureuse Ignorance. Et il donnera plus tard la théorie complète de la Dissociation des idées.
(8) Sans compter de nombreux articles dans tous les genres, encore inédits, matière de plusieurs volumes d’essais, dont nous espérons la publication posthume.
(9) Je dis observateur parce que, malgré la grande majorité des cas où l’auteur ne parle que d’après l’expérience des autres, il fait sur les phénomènes relatés la même opération qu’il eût tentée sur le réel. Il observe a travers la vitre du récit, mais il observe.
(10) A cet ouvrage il convient de joindre, car elle s’y rattache étroitement, la deuxième partie du recueil le Chemin de Velours intitulée : Nouvelles Dissociations d’Idées.
(11) Les Chevaux de Diomède : Les roses.
(12) L’Idéalisme : L’Ivresse verbale.
(13) Épilogues. 2e série, février 1001 : L’agonie du grec.



La Revue de Paris, 1er janvier 1916, pp. 138-162.

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