Valérie Rouzeau au micro (entretien)

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Vous l'avez sagement attendu, le voici : l'entretien inédit avec Valérie Rouzeau paraît ce jour sur les ondes de notre île à l'occasion de la parution de Vrouz, son nouveau recueil, composé cette fois de sonnets.
Les Alamblogonautes qui ont déjà eu l'occasion de lire ou d'entendre la poésie de Valérie Rouzeau savent déjà ce qu'elle a de particulier. Sa tonalité est unique et singulièrement attachante, comme son maniement de la langue est saisissant, à la fois ludique et grave, fruit d'une imprégnation constante par les littératures de tous âges. Et une fois encore, ses poèmes sont admirables.
Pour ne pas répéter ce que nous lui demandions naguère pour Le Matricule des Anges, d'autant que le dit Matricule lui consacre le dossier de son numéro de mars (elle est en couverture), l'Alamblog a choisi d'interroger Valérie Rouzeau sur des aspects terriblement secrets de sa vie.
Vous le méritez bien, chères alamblogonautes, chers alamblogonautes.
Tambours !
Entretien.



Quelle est la dernière fois que vous avez fait du vélo ?
Je ne me souviens pas…sauf que ce vélo s’appelait Grabinoulor, d’après Pierre Albert-Birot : illusion qu’il pouvait me faire voyager dans l’espace et le temps comme le héros éponyme et double du poète drôlement épique ! Mais le vélo à Paris, car c’était à Paris, ne me convient pas bien, je déteste les bagnoles et il y en a partout, beaucoup trop, et elles vous frôlent de près en plus de vous gêner dans votre effort pour respirer pas trop mal, par exemple s’agissant de monter la rue Saint-Jacques…
Pourquoi le 22 vous est-il aussi important ?
Je suis née un 22 mais ce n’est pas la seule raison ! Ce 22 m’est devenu fétiche quand j’ai lu le texte de Benjamin Péret, Le Déshonneur des poètes, où il narre son emprisonnement par les nazis en la prison de Rennes en mai 1940 et une vision qu’il a eue alors, à savoir qu’il serait libéré un 22, ce qui eut lieu, le 22 juillet 1940, contre une rançon de mille francs. Le texte évoque par ailleurs ce « chiffre » comme étant très populaire, notamment auprès des enfants : crié, il avertissait d’un danger imminent. Depuis, je glane les 22 dans tous les coins et j’ai je crois la matière d’une anthologie mais je ne suis pas sûre que ce soit très intéressant, puis je n’ai pas envie de cesser ma collection maintenant, je trouve des 22 partout !
Quelle est la plus belle carte postale que vous avez reçue ?
« Le monde est encore énorme » signé Tomaž Šalamun, poète slovène et international, l’un des plus grands à mes yeux, c’était en juin dernier et envoyé de Chine… au recto, l’énormité d’une montagne sur fond de ciel très bleu.
Desnos est-il fondamental ?
Oui, c’est mon premier poète, celui des cours élémentaires de l’école primaire ! Et je ne l’ai jamais perdu de vue si je puis dire, toujours lu et relu, découvert, redécouvert. Éternellement surprenant, inépuisable. Son prénom est aussi celui de mon dictionnaire de prédilection, et j’en joue dans quelques poèmes ! Robert est un ami…
Quelles expressions vous enchantent ?
« dès le potron-minet » ; « petit poisson deviendra grand… » ; « si ça continue faudra que ça cesse » ; « life begins at forty » ; « je te kiffe trop grave » (surtout si c’est Fabrice (qui se prénomme Robert) Luchini qui le dit !) ; « pas de bras, pas de chocolat » ; « c’est celui qui le dit qui l’est »…Mais ce qui m’enchante finalement c’est surtout de revisiter le proverbe ou le dicton, parce qu’au fond en elles-mêmes les expressions toutes faites m’enquiquinent plus qu’elles ne m’enchantent (« quand il y a de la vie, il y a de l’espoir », par exemple, ce genre de formules m’exaspère).
De la terre à la lune, il y a quoi ?
Une suspension poétique.
Entre un berlingot et une pêche, où va votre appétit ?
Ni l’un ni l’autre, je suis un bec salé. Un petit fromage de chèvre sec de chavignol je préfère ! Mais parmi les quelques fruits que j’aime il y a… les pêches ! C’est aussi le fruit de l’amour chez l’Alfred Prufrock de TS Eliot, que recueillera Ted Hughes dans ses Birthday Letters quelques décennies plus tard : la pêche, tel le fruit défendu, du péché ! (jeu de mots intraduisible alas !)
Le meilleur trajet en train ?
D’un entrepôt de nettoyage vers Pantin aux environs de la gare de l’Est à Paris, avec John Giorno, tous les deux serrés avec nos sacs à dos dans la locomotive d’un adorable cheminot et ce en toute illégalité : nous avions vu « Charleville » sur les vitres du train sans vérifier la voie, nous bavardions, j’emmenais John à Tinqueux près de Reims lire ou plutôt danser ses poèmes et nous nous sommes retrouvés « in the middle of nowhere », dixit le plus jeune gars de la Beat Generation alors on tour en France ! Ce voyage fut possible quand j’ai expliqué qui était John, j’ai nommé Andy Warhol et ce nom a fait tilt au conducteur de la loco, « les petites marylin ? », c’est ainsi qu’on a ensemble accompli ce bref mais fabuleux voyage, d’une loco tu domines le paysage comme de la cabine d’un gros camion, John était ravi, le cheminot le regardait avec des étoiles dans les yeux, et pour moi qui accompagnais John et lui servais d’interprète j’étais certes tout aussi ravie mais je dois dire également soulagée : on nous attendait en Champagne (« fucking bubbles ») !
Pouvez-vous citer un livre dans lequel apparaissent des pivoines ?
Chez Philippe Jaccottet assurément, mais précisément dans quel livre je ne sais pas, certainement dans plusieurs. Oh et chez Maximine aussi.
Un livre avec une île plaisante ?
Je n’ai pas lu Jules Verne (ou si peu) et là, rien ne me vient… Je dois saturer de trop d’années en Île-de-France…
Quelle différence entre Barbapoux (Jean-Pierre Verheggen) et Mérinos (Henri Simon Faure) ?
Il s’agit là d’un sujet de thèse ! Je préciserais que Barbapoux ne fut point invité à Montfroc par une charmante admiratrice à l’issue d’une lecture publique mémorable tandis que Mérinos, si. J’y étais. Je veux dire : j’ai entendu des mes oreilles entendu l’invite lancée au moustachu lyrique. L’autre, comme son nom l’indique est barbu et ressemble au Père Noël même en plein mois de juillet. Il est plus rigolo et moins ronchon mais belge, et qui croirait que les meilleurs poètes français sont belges ?! Ah mais je les aime tous les deux quant à moi !
De l'enthousiasme ou de la sérénité, que préférez-vous ?
Je ne préfère pas, suis simplement à peu près incapable de sérénité…
Quel est le sommaire du prochain numéro de Dans la lune ?
Très sommaire ! on est suspendus entre terre et lune comme précisé plus haut… À suivre, j’ai vu Michel Fréard récemment, on envisage une sorte de nouvelle pléïade sur la toile mais rien n’est sûr, d’autant que pour ce qui me concerne, je n’ai pas le goût de la lecture sur écran…
Les passages piétons qui font "bip bip" vous paraissent-ils propices à égayer la ville ?
Non non, il faut virer les autos !
Quelle est la taille idéale pour un pavé (urbain) selon vous ?
Celle de La Gana de Fred Deux – récemment réédité par Georges Monti dans la collection de poche de ses éditions du Temps Qu’il Fait.
Quelle traduction passionnante avez-vous en cours ?
Je traduis une anthologie de poèmes de Susan Wicks, je voudrais lui faire la surprise d’une réussite comme elle a fait pour mon Pas revoir : Sue est poète et romancière, nouvelliste aussi, et j’ai l’immense chance qu’elle ait traduit ce livre et d’autres de mes poèmes ensuite pour des festivals internationaux. La traduction me passionne mais aussi me fait un peu mal, souvent j’envisage d’arrêter….
Marine en bois ou marine en métal ?
Sardine à l’huile.
Pouvez-vous citer un acteur ou une actrice du cinéma muet qui vous plaît ?
George O’Brien, pour L’Aurore de Murnau : il ressemble à Ted Hughes, ou plutôt Ted Hughes le grand poète anglais « couronné » qui n’était pas né au moment du film lui ressemble physiquement beaucoup - mais sinon je dis Charlie Chaplin sans réserve !
Quelle est la scie (au sens de chanson) qui vous déplaît le moins, finalement ?
Je ne connaissais pas le terme de « scie » dans le sens de « chanson » ! et suis incapable de répondre à cette question mais peut-être « Le petit bal perdu », interprétée par Bourvil, parmi les belles et bonnes scies qui ne font surtout pas scier !
Avez-vous toujours avec vous un harmonica ?
Non, juste une petite cuillère avec mes crayons et stylos dans ma trousse, mais ça ne donne rien de terrible en percussion même façon castagnettes, il faudrait une seconde petite cuillère.
Quelles sont, selon vous, les vertus du géranium ?
Lierre ou pas lierre ? that is the question !
En matière de fromage, vous penchez pour lequel ?
Là il faut franchement m’apporter un plateau ! J’aime autant le crottin de chèvre sec (mais je l’ai dit) que le fromage blanc avec de l’échalote ou de la ciboulette par exemple. Aussi j’apprécie la cervelle de canut ! Et les trous du gruyère.
Dans votre salon, un sémaphore ou une taupe ?
Un petit crapaud. Mais encore faudrait-il que j’aie un salon ! que j’eusse ! (un salon)
Quel coin de campagne préférez-vous ?
Le canard colvert.
Quel signe typographique vous paraît le plus aimable ?
L’esperluette : on dirait un petit bonhomme prêt à offrir une fleur, en plus de créer du « liant » sémantique puisque c’est comme un « et » qu’on aurait dessiné…




Valérie Rouzeau Vrouz. - Paris, La Table ronde, 200 pages, 16 €

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