Promenades à Nécroville

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Grigori Chalvovitch Tchkhartichvili est beaucoup plus connu sous le pseudonyme de Boris Akounine. En imaginant pour se délasser d'un travail sur "L' Écrivain et le suicide" le personnage bègue d'Eraste Pétrovitch Fandorine, il entamait avec le roman Azazel une série policière qui lui a valu une notoriété internationale. Il ne sera cependant pas outrageant de dire que si l'on voit bien qui est Akounine, on sait beaucoup moins ce que fabrique Tchkhartichvili. On ignorait, ici à l'Alamblog, qu'il est nipponisant et à ce titre à l'auteur d'une anthologie en vingt volumes d'écrits japonais...
Il apparaît que les deux figures Tchkhartichvili/Akounine partagent, quelle surprise, certains goûts, et en particulier celui de se promener dans les vieux cimetières aux senteurs anciennes, disons du XIXe siècle, cette époque qui finit avec Wilde et le Second Empire. Donskoï (Moscou), Highgate (Londres), Père-Lachaise, Gaijin-bochi (Yokohama), Green-Wood (New York) et mont des Oliviers (Jérusalem) sont les enclos parfois immenses - des mécropoles ! — qu'il nous convie à visiter avec lui. Formidable vecteur de rêveries chronologico-existentielles, les champs des morts des grandes métropoles sont aux yeux du Russe le territoire d'une population immense, le réceptacle de tant de destins qu'il y sent finalement beaucoup plus la présence des enfouis que des verticaux qui les arpentent.
Traduit par l'excellent Paul Lequesne, le "duo" Tchkhartichvili ne propose évidemment pas de visite systématique, plutôt de simples promenades assorties des curiosités plutôt littéraires qu'il déniche en ses lieux. Comme il le déclare, ou bien est-ce Akounine, « j’écris des romans qui parlent du XIXe siècle, en m’efforçant d’y placer l’essentiel : la sensation de mystère et de fuite du temps. Je peuple ma Russie imaginaire de personnages dont les noms et les prénoms sont souvent empruntés aux pierres tombales du cimetière Donskoï. Ce faisant, j’ignore moi-même ce que je cherche à obtenir : à tirer de leurs tombes ceux qui ne sont plus, ou à me glisser moi-même dans leurs vies. »
Voilà pourquoi Tchkhartichvili commente l’ambiance spécifique de chacun des champs des morts et conte ce qui nous remue le mieux, les anecdotes de leurs locataires les plus fameux (écrivains, muses, déchus, tortionnaires, etc.) — les dépeçages impromptus de "barbares blancs" par les ronins, samouraïs errants, dans le Japon impérial par exemple, ou toute "histoire" devenue véridique parce que le temps est passé dessus, accréditant des fadaises pour les enfermer dans des tombeaux d'où elles suintent désormais avec le poids du fait historique. Ne parlons pas des trésors enfouis, des manuscrits emberlificotés dans les cheveux des muses défuntes, des artefacts en émeraudes, vous allez vous réveiller la nuit. Après chaque visite, Boris Akounine tresse une superbe nouvelle mettant en scène les plus extraordinaires des habitants croisés par Tchkhartichvili, comme ces araignées-vampires dont on ne vous dit que ça...
Ça grouille au cimetière...


Boris Akounine/Grigori Tchkhartichvili Histoires de cimetières, 1999-2004. Traduit du russe par Paul Lequesne. — Paris, Noir sur Blanc, 240 pages, 19 €


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