Fumure d'Ennius

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Entre 1952 et 1956 avaient paru les deux passionnants volumes de La Littérature latine inconnue. On désespérait de les voir pousser leur museau un jour parmi les primeurs du commerce d'aujourd'hui. Incrédules que nous étions, nous n'imaginions pas qu'ils pussent avoir l'occasion d'être réimprimés. Mécréant de nous ! Voici qu'en 2014 un signe très rassurant de l'état d'esprit de nos contemporains nous est donné par les éditions Klincksieck qui rendent à la communauté La Littérature latine inconnue sous la forme de brique d'un précieux coffret noir et bleu contenant deux volumes solidement cartonnés. Un reprint a paru, les dieux de l'encre et du papier soient loués !
Professeur de littérature latine à l'Université de Poitiersn éditeur et traducteur des auteurs latins classiques dans la "Budé", la fameuse collection des Belles-Lettres, mais aussi des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, Henry Bardon (1910 - 2003) donnait dans ses deux volumes un extraordinaire panorama de la littérature latine qui ne nous est que partiellement parvenue. Et par le menu !
Sans rapport direct, et encore, on pense un peu à la thèse de Michel Décaudin qui abordait un continent quasi inexploré de la poésie française d'une période beaucoup plus récente. L'intention était la même : explorer et mettre en évidence un patrimoine en jachère.
Ainsi de Quintus Ennius, le père des poètes latins, né en 239 avant J.-C. en Italie à Rudiae et mort en 169, aède officiel de la République romaine dont seuls des fragments sont parvenus jusqu'à nous bien que son influence sur la littérature soit immense. Et c'est paradoxalement pour cette raison qu'on put en conserver des miettes : ses oeuvres furent souvent empruntées, par Virgile notamment, à tel point qu'Horace prétend dans ses Odes qu'il "tirait des perles du fumier d'Ennius". L'expression passa dans le langage courant et devint même le titre d'un ouvrage de chroniques d'Alfred Delvau à la fin du XIXe siècle. Mais ça n'est pas pour autant que vous trouverez un citoyen capable de vous citer un mot de l’Epicharme, de l’Évhémère, des Satires ou des Annales d'Ennius... Bref, le propos d'Henry Bardon est érudit mais il est riche et élégant et se lit comme une enquête captivante au ressort fluide. Sa narration sait être passionnante, comme l'était par exemple celle de la Véritable Histoire de la Bibliothèque d'Alexandrie de l'Italien Canfora. Et ceux qui sont hostiles aux notes de bas de page peuvent aussi ne pas les lire, d'autant qu'elles sont à peu près toutes en allemand, naturlich, sans ameuter la planète.
Cette vaste synthèse "des auteurs que le fatum libri, selon l’expression chère à Nietzsche, a choisi d’enterrer" va vous éclairer sur le talent de Mécène, Messalla, Asinius Pollion, Ennius et leurs discrets confrères sans qui Cicéron, Horace ou Virgile n’auraient sans doute pas brillé tant.
L'oeuvre d'Henry Bardon appartient à la catégorie des incontournables durables, des must pour gens sérieux, des lectures impératives. D'où son prix. Eh oui.



Henry Bardon La Littérature latine inconnue. Nouvelle édition. Préface de Pierre Laurens (qui hésite un peu sur la graphie du prénom de l'auteur). — Paris, Klincksieck, 728 pages, deux volumes cartonnés sous coffret, 99,00 €

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