† Christian Bachelin (1933-2014)






Cette nuit un grand silence règne sur toute la terre...



Le poète et romancier Christian Bachelin s'est éteint vendredi soir, à la veille de son anniversaire, au Kremlin-Bicêtre, à 18h52.
C'est une très grande perte. Ceux qui ne l'ont pas encore lu s'en apercevront bientôt.
Il était né le 1er septembre 1933 à Compiègne.

Ses obsèques auront lieu demain, vendredi 5 septembre, à 15 h 15, au cimetière de Cachan.


Dernier cri

J’écris ce poème avec de la fumée
Avec du sable avec de l’ombre
Mes mains s’enfoncent dans la neige
Sans jamais rencontrer la terre
Mais tout à coup le vent disperse la poussière
La poussière du poème
Tout à coup un cheval couronne de sa mort
Le royaume ébloui que me prête l’hiver
Tout à coup un rose éclate les ténèbres
Tout à coup un poisson ruisselle sur la table
Tout à coup un oiseau traverse la fenêtre
Et la maison s’effondre en gerbe de cristal

Il reste le cri nu de la réalité
Le cri pulvérisé de l’œuf en train d’éclore
Le cri rouge du rat encerclé par le feu
La nudité de l’os quand retombe la cendre
L’évidence du roc de la dent arrachée
Ce qui vibre immobile et se tord de fureur
La clarté sans issue où gravite la mer
La terreur du granit que le gel assassine
Les objets à pétrir comme un pain de famine
Le présent à saisir dans son flagrant délit

Christian Bachelin



En 1999, année de la double parution d'Atavismes & Nostalgies (fruit merveilleux des presses de Jean Le Mauve) et de Buttoirs rouillés de la mémoire (très beau texte massacré par les photocopieuses — militaires, ce qui convient parfaitement à l'enfant de troupe qu'était Christian Bachelin, pas du tout au poète et à ses lecteurs — du triste éditeur de La Bartavelle), le Préfet maritime consacrait ces petites lignes à Ténébros :

Christian Bachelin ouvre l'une de ses boîtes à souvenirs. Il l'a intitulée Atavismes et nostalgies parce que ce poème est une évocation de son histoire personnelle (nostalgie) et des figures familiales de son père noyé (atavisme), de sa mère et de sa femme disparues. Sa partition est douloureuse mais il la décline en "bonheur nostalgique", "fermentation des impressions" pour soulever d'"imperméables amnésiques" et aboutir dans les Butoirs rouillés de la mémoire, titre d'un autre recueil. On devine quel poète il est dès ses premiers mots. Pudique emballeur, il fait le coup de poing avec des images puissantes mêlées parfois de fatrasies complices, des images franches qui se gravent vite dans l'esprit : "Le cambouis se méfie des marteaux", l'oublierait-on?

Après neuf volumes de vers et une première prose, l'admirable Soir de la mémoire (Méréal, 1998), il fait de désastreux constats et s'assure de "ne plus être en tout que le moindre fait divers". De tels mots d'échec attirent le soupçon sur une existence terrible et sa corollaire, la solitude. Aujourd'hui fantomatique, Christian Bachelin est né en 1933 à Compiègne. Il fut enfant de troupe avant d'occuper de petits boulots jusqu'au début des années 1990. Après c'est la déroute, il est "englouti dans un tourbillon immobile" dit son ami Yves Martin qui le comparait à Strindberg. Retiré du monde, il n'écrit plus et publie quand il le peut ses poèmes dont la forte charpente, la portée lyrique ou musicale, l'éclat d'évidence lui offrent d'équitables opportunités. Celle, notamment, d'entrer au catalogue de l'éditeur-typographe Jean Le Mauve qui a fait d'Atavismes et nostalgies une authentique merveille. On n'en dira pas autant de Butoirs rouillés de la mémoire littéralement saboté par un éditeur indélicat. Fort heureusement, la poésie de Bachelin ne se dissout pas dans les coquilles. Elle mérite néanmoins beaucoup d'attention. Le message vaut aussi pour les lecteurs.
E.D.

Un précédent billet sur Christian Bachelin.
Pour entendre l'Emission Clair de nuit (France Culture, 2000) qui lui était consacré.

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