Comment on file les assassins et les malfaiteurs (1923)

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Comment on arrête les malfaiteurs et les assassins
Notre conversation avec M. Faralicq, commissaire à la Direction de la police judiciaire Les tristes actualités dramatiques qui occupent l'attention du public au détriment de tant de choses saines et nobles qui se trouvent étouffées et vaincues, les triste épisodes de haine ou d'amour, les lâches et sanglants vengeances, les cupidités effroyables qui aboutissent a des assassinats raffinés, cette ambiance enfin où se déroulent les drames les plus effroyables, toutes ces laideurs comportant cependant un intérêt. C'est à ce point de vue que nous nous sommes placés en écrivant cet article.
Comment arrête-t-on les malfaiteurs, les bandits, les criminels ? Quels sont les moyens employés ? De quelle façon. opèrent les policiers qui oint mission de découvrir l'individu inconnu sur .qui pèse la responsabilité mystérieuse d'un vol ou d'un assassinat ? Telles sont les questions qui se posent journellement, et auxquelles, faute J" renseignements précis et de documentation exacte, qui ne peut que répondre très vaguement. J'ai obtenu die la Direction de la Police judiciaire, l'autorisation de recueillir, à Ia Préfecture même les éléments indispensables à la confection/de cet article.
- Tout d'abord, me dit M. Faralicq, il importe que les questions que vous désirez me poser aient trait à une conception précise de ce que vous voulez savoir.
J'informe M. Faralicq de mon désir de connaître les dessous pittoresques de la vie policière, le mécanisme des filatures et des arrestations. Il s'empresse de me dire :
- Je vais peut-être, cher monsieur, détruire en vous une illusion entretenue par la vision cinématographique, a moins que, déjà, vous n'ayez discerné les erreurs et les fantaisies accréditées par certains films. On imagine généralement la police comme un ensemble de gens qui « camouflent, se transfigurent. s'habillent de multiples façons, un peu à la façon de Frégoli. D'autres personnes se figurent nos inspecteurs sous l'aspect légendaire et opulent d'un Javert, pourvus d'un gourdin et d'un haut chapeau, avec d'énormes moustaches. Eh bien ce n'est pas cela du tout ou, pour parler plus exactement, ce n'est plus cela.
Partez du principe de l'invisibilité de police. L'homme qui « file » doit passer inaperçu, et pour passer inaperçu, il faut non seulement que son adresse contribue à disparaître physiquement, mais aussi que son type ne soit pas de ceux qu'on, remarque. Nous choisissions donc de préférence des hommes-petits ou moyens, moyens d'aspect, moyens d'allure, moyens à tous les points de vue Leur physionomie ne doit exprimer aucun sentiment particulier, ne révéler aucune psychologie. Leur figure doit être confuse, leur accoutrement ordinaire.
Remarquez l'ensemble de la masse, les gens qui passent dans la rue. La majorité est vêtue d'une façon ordinaire. C'est donc dans un accoutrement frisant la vulgarité que l'inspecteur doit exercer son métier. Il doit exceller en l'art de ne pas être vu et quand, comme cela se produit quelquefois, il se rend compte que l'homme sur la tracé duquel il est, a la sensation d'être suivi, il doit abandonner sa piste.
Je demande à M. Faralicq :
— Il n'y a donc pas de moyens professionnels particuliers, au de subterfuges spéciaux ?
— Il n'y a que des trucs inspirés par les circonstances au milieu desquelles nous devons nous débattre. Le plus simple est donc de n'employer que les choses indispensables. Nous avons eu, occasionnellement, au moment de l'affaire Bonnot, une femme à notre service, la fameuse « Maria ». Cette femme se transformait avec un rien : un simple fanchon substitué à son chapeau la rendait méconnaissable. — Vous avez dû rencontrer des affaires particulièrement difficiles ?
— Certes. Et je vais vous en citer une. Il s'agissait d'une libraire qui écoulait, dans une clientèle fermée, des livres obscènes. C'étaient des gens roués et méfiants. Leurs livres étaient amassés dans une sorte d'« Enfer », où ils n'allaient les chercher que pour des clients connus d'eux seuls. Toutes les filatures étaient semées.
Quand ils se voyaient suivis dans, la rue, ils grimpaient dans les autobus en pleine marche. Se voyaient-ils pistés dans une gare, ils s'esquivaient par une des portes des salles des pas-perdus. On mit à la disposition de nos inspecteurs des automobiles, des bicyclettes. Impossible de les arrêter. Pour cette même affaire, nous faisions des filatures à Lyon, dans le quartier de la Guillottière, où il y a quantité de maisons à double issue. Plusieurs inspecteurs furent sur leur dos. Tous désespéraient. Et il n'y en a eu qu'un. un jour, qui parvint à arrêter un des individus recherchés : un seul parmi tous ceux qui avaient été chargés de l'affaire. C'est d'ailleurs généralement par des actes d'adresse et des ruses presque géniales que l'on arrive à ce résultat. L'un de nos inspecteurs vit un jour un individu qu'il recherchait se précipiter dans un tramway. Que fit-il pour que cet individu ne puisse pas lui échapper ? Il fit sauter la perche du tramway. Un autre fit un voyage sur le ressort d'une automobile pour faire plus sûrement la capture de celui qui y était installé.
— Lorsqu'il s'agit d'un crime, d'un assassinat, pouvez-vous me dire comment opère exactement la: police ?
— Le crime une fois constaté, me dit M. Faralicq, le commissariat est le premier avisé. Nous sommes aussitôt informés. Le cadavre doit être laissé sur place et les agents ne doivent rien faire.. Les circulaires sont formelles à cet égard. La première des obligations est de procéder à l'identité judiciaire du cadavre. Ceci est le rôle de la police technique et du médecin légiste. je vais donc sur les lieux, accompagné de mon brigadier et de mon secrétaire. Le parquet est là. Le médecin légiste se livre aux premières constatations, les photographies sont prises après l'examen, du corps de la victime.
L'œil scientifique enregistre ainsi tout ce qui peut aider la justice. Les chimistes jouent également un rôle important dans ces premières investigations : par l'examen du poil, du sang, par les empreintes digitales, on acquiert des premières indications qui ont leur importance. Quand tout cela est terminé, tout le monde s'en va, sauf les agents et inspecteurs de la brigade spéciale, qui ont l'ordre de rester sur les lieux et de les fouiller de fond en comble. Cette besogne est non seulement une des plus importantes, mais elle est une de celles où la police acquiert des témoignages muets d'un caractère extraordinaires. C'est dans ce bouleversement minutieux que la preuve apparaît souvent. Et en voici de surprenants exemples : Une vieille femme, une brocanteuse, a été assassinée dans un taudis infect, une sorte de wagon converti en roulotte. Le coup de revolver lui avait traversé la tête de part (-il part. Le milieu était hétéroclite. On avait d'abord trouvé un vieux revolver dans lequel il restait une balle et une douille. On pensait d'abord que ce revolver était celui de la victime. Or, en regardant dans le prolongement die la tête de la victime un trou de la balle dans la fenêtre de la roulotte indiqua qu'il s'était agi d'une balle blindée. Ce furent déjà là d'importantes constatations. Ce ne fut pas tout. Les hommes étaient restés là tout 'l'après-midi et, en remuant, ils découvrirent, dans le fond d'un pot de fleur, un papier. Ce papier était une reconnaissance de dette datée de la veille. Un soupçon germa aussitôt dans l'esprit des policiers. Le but du crime devait être là ; et on rechercha immédiatement le signataire. Dans la banlieue, on découvrit les traces d'un individu qui habitait, dans une villa, une chambre louée an garni. Cet individu était le fils de l'ancien amant de la femme tuée. On l'arrêta et il avoua être le signataire de la reconnaissance de dette et l'assassin de la brocanteuse.
Un autre drame vous prouvera encore l'utilité des recherches. On apprit la mort d'une vieille mercière de la rue Sedaine, qui eut le crâne, défoncé à coups de bouteille. En fouillant dans la chambre de la victime, on découvrit dans son lit un miroir dont la forme était celle d'un croissant de lune. Pas d'autre indice relatif à une circonstance d'assassinat. L'inspecteur qui avait découvert ce miroir le promena avec lui. partout, sans 'cesse, le montra à tout le monde pendant un mois.
Dans un bal musette, il fit voir également ce miroir à une fille publique, qui lui dit en posséder un aussi, mais de forme ronde, qu'elle tenait d'un ouvrier miroitier. L'ouvrier-miroitier fut interrogé et, en examinant l'objet de l'assassinée, il reconnut que c'était un miroir qu'il avait donné à un individu à Levallois-Perret. On n'eut plus qu'à rechercher l'assassin, dont le signalement, des lors. était connu.
Je crois, conclut M. Faralicq que, par ces exemples, je vous ai donné une idée assez précise du mécanisme des filatures et des arrestations. Ne croyez pas au génie de Vidocq ni à la supériorité de Rossignol. A l'époque où exerçaient ces deux policiers, il n'y avait pas les obstacles qu'on rencontre aujourd'hui, multiplicité des moyens scientifiques, automobiles, métro, téléphone, etc. Un médecin me demandait, un jour, si un grand policier devait être un homme d'intelligence supérieure. Et. je lui répondis qu'une intelligence moyenne suffit. Ce qu'il faut, c'est surtout de la méthode et la connaissance du métier. Avec cela, on peut mettre la main au collet du bandit, le plus madré et le plus redoutable. »

Maurice Hamel

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