Le timbre Pasteur (André Lebey)

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Le Timbre Pasteur

Il n'est personne personne qui n'admire profondément Pasteur, mais cela n'a rien à voir avec le timbre qui porte son nom. Nous sommes même en droit de nous étonner que personne, ni à la Chambre, ni au Sénat, ni ailleurs, nul part, n'ait protesté contre la substitution d'une effigie personnelle à celle, collective, de la République. Pourquoi ce tour de passe-passe sournois ? Quelle figure moins heureuse, moins légitime, toute autre, prépare, demain, celle du grand savant ? Enfin, ce timbre est affreux. C'est là-dessus, principalement, que nous entendons insister. Le désordre, l'incompétence, la sottise qui président aux décisions des services du gouvernement atteint des proportions qui ne peuvent, qui ne doivent plus être tolérées.
Doit-on rappeler pour mémoire ce qu'est la gravure typographique ainsi que le mode de tirage qu'elle comporte ? Il nous le paraît, et que ce fut rarement aussi opportun. Une leçon utile, qui ne sera peut-être pas perdue— nous avons encore des illusions optimistes — en résultera, au moins pour quelques-unis. Un député. à court d'interpellation, pourrait s'en servir et faire le reste.
Au point de vue populaire, tous les cachets, qu'ils soient gravés sur métal, sur bois, ou obtenus par montage, comme les timbres en caoutchouc, sont d'ordre typographique, Ils donnent une épreuve en encrant le cachet sur un tampon imprégné d'encre appropriée. etc. L'impression des journaux quotidiens est faite typographiquement au moyen de cylindres qui roulent sur un papier sans fin. C'est donc, toujours, le même principe. D'ailleurs la plupart d'entre nous ont vu fonctionner ces étonnantes machines dont l'ingéniosité et la perfection confinent aux dernières limites, semble-t-il, du progrès mécanique.
Ceci pour dire que dans les pays civilisés, les résultats de l'impression typographique ont pénétré jusque dans les villages, sur les chantiers épars, partout où les travaux de quelque importance nécessitent la présence du plus petit service de documentation. Envisager tous les cas particuliers dans lesquels on utilise ce mode d'impression serait s'exposer a une nomenclature énorme forcément incomplète. De même, chercher tous les moyens mis en oeuvre pour obtenir une gravure, un cliché propre à l'impression typographique conduirait trop loin. Les impressions brûlées pour marquer les bois sont d'ordre typographique ; également la dorure sur bois, cuir, étoffe, dont l'or est fixé par l'albumine que le fer à dorer, convenablement chauffé, vient coaguler. Mais on a si peu développé chez nous des facultés d'observation, la curiosité des choses courantes, que nombre de gens instruits sont fort loin de se douter des mystères de production des objets qu'ils ont couramment sur leur personne, autour d'eux, dans leur intérieur.
Dans le domaine des arts, c'est encore pire. L'artiste est socialement un enfant gâté s'il est peintre ; il est envisagé portant beau, réalisant son idéal dans une tenue irréprochable. S'il est sculpteur, véritablement sculpteur s'entend, c'est-à-dire s'il se double d'un tailleur de pierre, il commence à perdre toute considération. Pire encore s'il est forgeron, où il faut bien se plier aux moyens pénibles et lents qu'impose la matière, car toutes les matières ont leurs lois particulières qui sont également implacables comme le savaient et les pratiquaient les maîtres de la Renaissance. Les compositions rationnelles relèvent de l'expérience et ne sauraient être obtenues que par une sorte de lutte avec les matériaux : les difficultés qu'elles entraînent constituent la meilleure, comme la plus rude. des éducations. Or les très rares artistes qui ont eu le courage de persévérer en voulant garder la tradition: sont, en général, considérés comme des parents pauvres. Les seuls connaisseur capables de voir la différence de leur production sont, d'autre part, peu nombreux.
Serait-ce le motif qui a porté à s'adresser pour le nouveau timbre, dit timbre Pasteur, à un autre artiste qu'un graveur qualifié ? Vraiment, on en arrive à se demander comment un travail si clair, si précis, qui relève de la gravure typographique sur bois ou métal a été confié à un graveur en médailles.
Floréal devrait ouvrir une enquête à ce sujet. Elle serait instructive, et, pour ma modeste part, je serais bien curieux des réponses qui nous seraient faites. Ce n'est pas, en tout cas j'imagine, du fait que la précédente vignette de la Semeuse avait été commandée à O. Roty, le graveur de pièces d'argent d'avant-guerre. M. Prud'homme modèle ses médailles à une dimension variable de 20 à 30 cm de diamètre dont il est fait galvanoplastiquement, ou par la fonte, une reproduction qui, montée sur une machine panthographique, dite machine à réduire, donnera une reproduction sur acier au. diamètre désiré. Cette épreuve sur acier, après trempe, sera enfermée dans de l'acier recuit au moyen du balancier pour obtenir par mouillage les coins, ou matrices, qui, après travaux mécaniques et trempe, permettront de frapper encore au balancier, les épreuves de bronze, d'argent, d'or ou les alliages que l'on voudra. La machine à réduire donne entre les mains de mécaniciens expérimentés des résultats qui limitent à la retouche de légers accidents nécessités par le remplacement d'une fraise cassée, ou s'étant émoussée en cours d'exécution, reprise qu'exécute lui-même l'ouvrier mécanicien. Aussi, dans la gravure en médaille proprement dite, la gravure directe a-t-elle totalement. disparu. On ne grave plus. A notre connaissance, un seul artiste pratique exclusivement.
Mais la gravure sur bois n'est pas disparue — elle est même en plein essor — pas plus que la gravure sur cuivre, et, enfin, les artistes capables de réaliser typographiquement de leurs mains, soit sur bois, soit sur métal, un beau portrait de Pasteur existent. Ils sont là. Pourquoi les ignore-t-on volontairement ?
Pourquoi, - je répète une question précédente, elle est capitale, - pour quel motif peu saisissable s'est-on adressé à un artiste qui, sans doute, a dû s'en remettre (comme ce fut le cas pour Roty) à un collaborateur afin de traduire typographiquement le dessin qu'il aura fourni ?
J'avoue que je me le demande.
Serions-nous à une époque où, d'une part, la science pénètre les choses, restées mystérieuses jusqu'ici et où, de l'autre, la connaissance des artistes les plus qualifiés, au nombre desquels il s'en trouve qui se placent au sommet de l'art contemporain, et qui se produisent dans les divers salons « au titre de graveurs » serait ignorée des dirigeants officiels au point qu'ils sont systématiquement négligés quand, — trop rarement d'ailleurs, à mon gré - l'occasion se présente d'avoir recours à leur talent ?
J'avoue que je le crains. Le timbre Pasteur en fournit la preuve.

André Lebey


Floréal, 4 août 1923.

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