Des chevets au front

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Il y avait bien longtemps qu'on n'avait pas lu une ligne de Georges Duhamel (1884-1966). On n'en ressentait guère le besoin il faut dire. Depuis qu'il avait occupé l'espace littéraire de ses grandes machines, succès par milles qui s'accumulent désormais dans les vide-greniers (en grands papiers s'il vous plaît), et de sa posture de bon bourgeois qui a réussi, n'était guère excitant c't'oiseau-là. Et cependant Laurence Campa, la biographe d'Apollinaire, présentant sa réédition de Vie des martyrs, premier ouvrage conséquent de Duhamel paru en pleine guerre au Mercure de France, parvient à redorer son blason en rendant tout son intérêt à la fois littéraire et humain à ce qui constitue la première marche du parcours de cet écrivain qui a marqué son temps.
Parmi ceux qui ont témoigné de la Grande Boucherie (liste partielle ici), Georges Duhamel fait partie des 20.000 médecins qui ont fréquenté "l'envers de l'enfer", ses tables d'opération improbables, sa chirurgie à l'arrachée, ses "autochir" (pour automobile chirurgicale), les hôpitaux de l'arrière ou les cahutes du front. Très tôt, en 1917, il donnait son récit au même moment que Derrière la bataille (Payot, 1917) d'un autre médecin, Léopold Chauveau, qui utilisait la même modalité de témoignage sous forme d'anecdotes et de récits courts. Naturellement, l'observateur des Témoins, Jean Norton Cru y mit son nez et préféra Chauveau, plus direct selon lui, moins paternaliste, larmoyant et "littéraire", mais il est fort probable que nous ne croirons pas sur parole un Cru qui n'a jamais été critique littéraire, tant que nous n'aurons pas lu Chauveau. Bienveillant et consolateur, Duhamel en tout cas marqua considérablement les esprits en insistant sur ce que la douleur pouvait représenter concrètement pour ces "martyrs" pilonnés, écrasés, troués, déchirés par les balles et les fragments d'obus, ou les coups de pied de cheval. La façon dont il présentait à de maintes reprises la "cérémonie" du pansement, en particulier, renvoyant à des images très nettes, déchirantes pour le coup, terribles et terriblement répétitives.
Il est clair que ces générations (Pergaud, Apollinaire, Fargue, Philippe, Miomandre, etc.) découvraient le témoignage et son usage, à la suite sans doute des chroniqueurs façon Caliban (Emile Bergerat) et des naturalistes, comme les reporters naissant. L'horreur des hôpitaux militaires ne prêtait d'ailleurs pas à l'Art pour l'Art... Les drames humains qui s'y jouaient chaque jour et sans répit ne pouvaient qu'émouvoir ceux qui se devaient d'intervenir et d'ajouter aux souffrances pour sauver. Au fond, si Gabriel Chevallier a dit La Peur, on peut considérer que Duhamel a écrit en quelque sorte son pendant : La Douleur.



Georges Duhamel Vie des martyrs. Précédé de "Inter arma poesis" de Laurence Campa. - Paris, Payot & Rivages, 2015, "Petit Bibliothèque Payot. Classiques", 205 pages, 8,10 €

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