Fortunat Mesuré (pas tant que ça)

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Alors que le Préfet maritime met la dernière main à un long, long, long article promis à La Revue des Revues au sujet des "Revues uninominales" (ou "revues d'un seul", "revues personnelles", "one-manned journal" chez nos amis britanniques, etc.), il apparaît que la documentation largement pléthorique ne trouvera pas toute sa place dans la version imprimée de l'article. Il vous en livrera donc des bouts quand ça lui prendra.

Pour commencer, voici ce que Fortunat Mesuré, personnage encore mal éclairé du XIXe siècle (et qui faisait si bien mentir son patronyme entre parenthèse), précisait en épigraphe de son Hic Haec Hoc, Cancans de l’an 40 (1840) :

« J’ai vu les fous, les sots, les méchans de mon temps, et j’ai publié ce PETIT LIVRE. « Des douches, des sifflets, des étrivières. »


Et Mesuré d’engager le combat dès son premier éditorial :

« OR, EN L’AN QUARANTE :
« Tout est petit, grelu, niais, misérable, odieux ; les hommes et les choses sont de la hauteur d'un sifflet.
« En haut, au milieu, en bas, on ment, on radote, on déraisonne, on fait avec délices sottises, lâchetés, bassesses, comme par ambition des étrivières.
« Nos chefs-d'œuvre littéraires naissent en feuilletons et meurent en cornets ;
« Marco Saint-Hilaire écrit l'épopée de l'Empire en style d'almanach, et mérite la couronne académique de vingt-cinq mille abonnés au Siècle ;
« Le théâtre fait pitié au lieu de faire rire, corrompt au lieu de corriger, épouvante au lieu d'émouvoir ;
« Les hommes sont chemisiers et les femmes tricoteuses de romans humanitaires ;
« Les bourgeois portent moustaches et les traineurs de sabre gilets de flanelle ;
« Les reines du boudoir laissent l'amour aux blanchisseuses et la pudeur aux vivandières ;
« Les demoiselles vont à la barrière du Combat et aux représentations de Carter, en se moquant de leurs grand'mères, qui se contentaient du spectacle des puces travailleuses ;
« Les filles d'Opéra dédaignent les princes pour le bon motif ;
« On fait, à la barbe des grands citoyens, cent mille francs de rente aux danseuses, aux chanteuses et aux joueurs de flûte ;
« Les lions du Jokei-Club se déguisent au carnaval en rats d'égoût ;
« Les plus chevaleresques vident des questions de soufflets en Cour d'assises ;
« Les gens du peuple font de la logique et du drame de cabaret à coups de couteau ;
« Les garçons perruquiers se tuent bravement comme des Catons ;
« Dantan mérite bien de la postérité, en coulant nos grands hommes en plâtre, pour en faire un musée de grotesques ;
« Nos hommes d'état sont moitié Crispins, moitié Verrès ;
« Les lois se fabriquent, au Palais-Bourbon, à l'aide d'une machine a vapeur, de la force de 400… avocats ;
« A la chambre des Pairs, la France est, nouvelle Suzanne, exposée aux regards d'un sérail de vieillards ;
« Les imbéciles ont de la gloire et les coquins de la puissance ;
« Gribouille et Robert-Macaire, Thersite et Vidocq, maître Aliboron et Erostrate, Salmonée et Titi-le-Talocheur, s'étonnent de n'être point : le premier, ministre de la marine ; le second, ministre des finances ; le troisième, ministre de la guerre ; le quatrième, ministre du commerce ; le cinquième, ministre de l'instruction publique ; le sixième, ministre des beaux-arts ; le septième, ministre des cultes ; le huitième, ministre des affaires étrangères et président du conseil ; « Tous, de n'être point rois de France et de Navarre ! ! !
« Marat porte des gants blancs, et Brutus chante des romances plaintives dans les salons ;
« Les apprentis-huissiers se posent en Lovelaces et les fils de concierges en athées ;
« Le télégraphe domine sur nos temples le signe de la croix de vingt coudées ;
« Les sceptiques et les esprits forts croient à la présence réelle dans un écu de cent sous ;
« Enfin la vertu est passée de mode, et le mot DIEU n'est plus même trouvé une rime assez RICHE par les poètes !!!! etc., etc., etc., etc.
« Qui pense cela ? tout le monde ! Qui le dit ? personne !
« Donc ce petit livre et ceux qui le suivront. »

Plus tard encore, dans la troisième livraison de sa publication, il ajoutait, bravache :

« Je savais bien que l'époque était lâche, affligée d'une surdité compacte et d'une ophtalmie de taupe ; mais j'ignorais qu'il fût possible de rencontrer des gens capables de se fâcher qu'on eût des yeux, des oreilles et du cœur pour eux. Dieu merci ma candeur est instruite sur ce point, depuis que j'ai publié les deux premières livraisons de ce pamphlet. Tous les eunuques, muets tremblans du sérail, où les tyrannies stupides et ínsolentes se vautrent, sous leurs yeux, dans les infamies du bon plaisir , sont scandalisés et s'irritent de ma virilité. Mes amis eux-mêmes, pleutres vertueux qu’ils sont, passent, après m’avoir lu, un foulard sur leur front en sueur ; essaient de mettre en repos leur âme qui a la chair de poule, et se plaignent, la tête penchée sur l’épaule droite ou gauche, que je suis, à rencontre des hommes et des choses du jour, trop incivil, trop rude, trop brutal, c'est-à-dire trop juste. J’empale en riant, j’ensanglante mon épigramme, mon calembourg tue raide. »


Mon calembourg tue raide ! N'est-elle pas formidable, celle-là ?



P. S. Au sujet de Fortunat Mesuré, Figaro du 23 septembre 1859 rappelle cette anecdote :

A propos de Bourrienne, cet ancien secrétaire intime de Napoléon, un peu ingrat, il a eu, lui aussi, son "teinturier" pour écrire ses dix volumes de Mémoires.
L'homme qui l'aidait était un écrivain très spirituel de la presse légitimiste, c'est-à-dire M. Maxime de Villemarest. II est mort en 1848 (1).
M. Maxime de Villemarest avait été, dans les derniers temps, attaché au journal la France avec MM. Lubis et Théodore Anne. Il avait aussi travaillé au Brid'Oison et à la Mode.
Un de ses collaborateurs, M. Fortunat Mesuré avait fondé le LUNDI, journal des marchands de vins.
M. Maxime de Villemarest, qui connaissait la matière, lui disait
- Mon cher ami, j'en suis fâché pour vous, mais ce journal ne réussira pas.
- Pourquoi donc ?
- A cause du titre.
- Le Lundi, cela est pourtant neuf.
- Oui, mais ça n'a pas de saveur. Il aurait fallu l'intituler le "Pochard", et tout le monde aurait voulu le boire.


(1) En réalité 1852 (note du Préfet maritime).

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