Clowneries, par un expert

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Du rouge le plus éclatant, rouge comme le pif de Pifo, la réédition par L’Arche d'un ouvrage de 1962 éclaire un pan de la création dialoguée : les Entrées clownesques de Tristan Rémy (1897-1977), l’historien du cirque issu du groupe des écrivains prolétariens, nous vaut quelques moments de rares plaisirs : les dialogues entre Coco l'auguste, Pifo et Monsieur Loyal renouvellent l’extase de générations d’enfants. Ils renvoient aussi aux grandes créations dramatiques, aussi étrange que cela puisse paraître. Le théâtre de l'absurde ou Ubu ne sont jamais très loin...

« Mesdames, Messieurs, mon tour a parfaitement réussi. Ici la pomme de terre a pris la place du cigare et là le cigare a pris la place de la pomme de terre. »

Au fond, c'est Shakespeare par le tout petit bout de la langue de belle-mère. Et ça fonctionne toujours assez car avec le renfort d'une imagination enfantine, les scènes se visualisent très bien. D'ailleurs, les didascalies proposées par Rémy sont ici assez nombreuses et précises pour suppléer toute panne imaginative.
Ce sont réunies cinquante-neuf « entrées clownesques » qui constituent le fonds historique du genre. Rémy livre le corpus à partir duquel les professionnels ont excité la clientèle payante, l'ont mise en condition de recevoir un spectacle de bric et de broc, ritualisé à l'extrême et cependant toujours différent. Fixées pour la première fois par écrit en 1962 par Tristan Rémy, ces scènes typiques font partie d'un répertoire collectif que tous les comiques (bouffons, clowns, mimes, pitres, burlesques...) ont enrichi durant des décennies. Equipé d'une préface historique efficace, il s'agit donc bien d'un ouvrage de référence à l'usage des amateurs ou des professionnels, et pour tous ceux qui s'intéressent à la figure du clown et du grotesque.
Passionné par le cirque et le music-hall, Tristan Rémy était le chroniqueur des spectacles populaires, qui l'amenèrent à poursuivre des recherches historiques sur l'art clownesque. Profitant de la loi de 1864 sur la liberté des spectacles qui "ouvre le cirque à la comédie dialoguée", la clownerie s'invente une dramaturgie nouvelle. Auparavant, la clownerie anglaise, qui avait le haut du pavé, jouait du charabia et du borborygme (un clown anglais du XVIIIe siècle limitait ses paroles aux seules voyelles). Ce faisant, Tristan Rémy nous propose de dépasser l'histoire du spectacle vivant pour toucher à l'anthropologie. Ces saynètes qu'il nous rappelle avec précision, n'ont-elles pas en effet à voir avec celles qui se jouent pour nous tous les jours, entre êtres humains ?
Sur les plateaux de télévision, au sommet des différentes tribunes, au cours des "mouvements spontanés", dans les amphithéâtres et aux micros qui poussent de partout... Bref, dès que les hommes prennent la parole ?
Vérifier vaut le coup, foi de préfet maritime.




Tristan Rémy Entrées Clownesques. Une dramaturgie du clown. — Paris, L'Arche, 287 pages, 19,50 €

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