L'exposition de Sainte-Anne (1950)

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Louise Soudy était une peintre. Elle était aussi l'initiatrice d'un journal, Paris-Montparnasse, où elle parlait avec ses amis de peinture, d'art en général, de futur ou d'ésotérisme, etc. En 1950, elle a fait partie des visiteurs de l'exposition d'art brut organisée à Sainte-Anne et en a ramené un reportage. 
Cette Exposition internationale d’art psychopathologique avait eu lieu à l’occasion du 1er Congrès mondial de psychiatrie. 2000 œuvres étaient présentées.
Naturellement, Louise Soudy n'était pas journaliste. Elle était artiste. Nous ne lui en voudrons donc pas pour son orthographe et sa grammaire si particulières. Nous avons d'ailleurs tenté de ne maltraiter ni l'une ni l'autre.
Louise Soudy publiait dans son journal des poèmes d'Auguste Boncors ou de Ferdinand Lop. Question fantaisie, elle en connaissait donc un assez grand rayon pour apprécier les oeuvres exposées.


Exposition à Sainte-Anne
Peinture de fous
ou extériorisation du subconscient et du "Moi" intime

Il y eut une exposition extravagantes l'automne dernier, émouvante par sa sincérité et délirante fantaisie. Les fous de presque tous les pays furent présents, par leurs oeuvres, à ce Salon et chaque nationalité a sa nuance très personnelle.
Les fous de la Yougoslavie s'expriment différemment des fous de la Suisse et de la Norvège, Suède et Danemark.
Il y a une nuance entre les fous américains et ceux de la prude Angleterre.
Ces derniers ont l'âme fraîche et peu tourmentée. Des images bibliques, des animaux, de la verdure et des prés. Deux dessin gouachés du même auteur, avant et après son opération sont les plus tourmentées, et très symboliques des deux états d'âmes.
Avant (N° 12 Nothern Hospital) montre une mer houleuse d'où émergent des rochers, au premier plan une main sort de l'eau, éloquente en un appel au secours, etc... un oeuil. L'angoisse et la peur sont exprimées dans cette aquarelle.
Après, représente la même mer... carlmée, ondulant sous un beau coucher de soleil.
Ce qui fait supposer la réussite de l'opération.
Ne quittons pas la section anglaise sans admirer le N° 6, vrai petit chef-d'oeuvre au fusain, lavis et plume ; un agloméré de formes humaines en format de colonne, tous d'une anatomie parfaite et d'une expression dantesque... par leurs contorsions exaspérées.
La Section américaine a des sujets divers, très variés, depuis le macabre drolatique le plus affarant jusqu'au majestueux et idéalement beau... exemple ce jeune homme de 17 ans Wilfred (N° 5 M.D.C. Hules) de New York, à la gouache traité de main de maître (auto-portrait) dont l'expression est d'une révolte justifiée, quand on s'en rapporte à la légende. Si c'est un débutant il a un talent peu commun, perdu pour le monde... raisonnable.
Le N° 28, de Washington, est un immense portrait de Napoléon, trois fois grandeur nature, au fusain pastellisé, bien équilibré, toute proportion gardées.
Et par contre le N° 33 atteint les sommets du burlesque tête ; à quoi pensait son auteur ? Un pendu, dodelinant au doigt d'une main gigantesque, laquelle sort d'un foyer de flamme, dans un ciel limpide, et oscille au dessus de rails, d'une voie de chemin de fer. Quelle obsession à bien pu causer cette fantaisie ?
Mais le plus humoristiques des dessins, dont le sens nous échappe à nous profanes et non psychiatres ; est celui ou une femme, dans un petit bateau, sur un fil de fer, magigue dans les airs, par dessus les toits. Ce fil de fer est attaché à une cheminée ! La dame a des rames et en joue avec enérgie. Evasion... Envol de l'imagination au delà des soucis journalier ?
Il y a bien les légendes sous ces images mais conçues en termes si scientifiques et abstraits pour nous simples mortels saints d'esprits que nous perdrions la tête à vouloir en approfondir le sens.
Les Indes sont en face, pas beaucoup de fous dans ce pays, un seul, qui a reproduit avec un leger trait d'aquarelle, douze fois la même femme, avec variations diverses, la mère, la soeur, la femme, la cousin ets...
Montons au premier étage, chez nos fous à nous.
C'est avec soulagement et une certaine fierté que nous constatons, en regardant leurs oeuvres, qu'ils dégagent moins d'inquiétudes, moins de désespoir que ceux des autres pays. Le seuil qui soit macabre est une barque traversant le Styx et arborant un feston de têtes de femmes, coupées et déployées sur une corde à laquelle sont accrochées, par les cheveux. Un chef-d'oeuvre d'humour noir ! Les autres sont plus carlmes, le trait dominant en est l'allégorie, souvent comique, dont les aquarelles de René Herault, minuscules, de la dimension d'une demi carte postale, en coloris naturels avec pour personnage principal une limace qui se promène au bord de la mer en guettant l'arrivée d'un petit bateau, lequel, au quatrième tableau se fait enfin harponner par une immense perche en bambou, sortie on ne sait d'où.
Les autres miniatures, huit en tout, représentent des paysages maritimes ; phare, moulins, petit figures bizarres, aeroplanes et autres élucubrations.
La religion joue aussi son rôle, les croyants sont nombreux, Sainte Anne est représentée sur trois tableaux, en vierge blanche (collection Graulle) immobile et calme sous la menace des trois têtes d'une hydre crachant des flammes et d'un affreux serpent ; des marguerites, un arbre et des rochers complètent le paysage les deux autres sont dans le même genre. Ensuite, des gantaisites champêtres, drôles, pas du tout tragiques, la Porte Saint Denis à la gouache est d'un effet extraordinaire et la foule est traitée magistralement en tant qu'artiste et observateur.
Mais le plus extraordinaire document de cette exposition est du domaine de la littérature.. un journal intitulé : "l'Inquisition psychiatrique" Journal libre des victimes de la Foi, de 1938, à l'asile de Villejuif.
Il y a aussi le bulletin d'abonnement comme tout journal qui se respecte. Le Rédacteur responsable et directeur politique en est Jean Benetti. Et le tout illustré de très spirituelles caricatures.
Section du Brésil. Le trait dominant en est la fantasmagorie illustrative, quelquefois ayant trait aux légendes populaires et d'autres fois aux histoires comiques ou tragiques comme cette tête grimaçante amalgamée avec une main et un revolver surimposés. L'humour figure sous la forme hebeté d'un zouave, avec un âne, tous deux perdus dans le desert et comiquement désemparés.
Section Yougoslave. Ici c'est le règne de la peur, la peur sous toutes ses formes, la peur exprimée dans chaque oeuvre ; un loup, affreux et hirsute, des gens fuyant sur les routes et quatres aquarelles ayant comme obsession un même sujet : Le Gardien.
"Gardien dans le brouillard", "Gardien dans la tempête", "Gardien dans le feu", "Gardien dans l'eau".
Il est facile de deviner les causes initiales de ces cauchemars, dont l'expression la plus saisissante est celle intitulée "Interrogatoire ou le Poing et la Loi". >Un malheureux, transi d'épouvante, est devant le bureau du juge, lequel est représenté sous la forme d'un énorme poing posé sur le meuble. Deux gardiens herculéens, aux airs patibuloires, sont de l'autre côté et l'encadrent.
C'est l'illustration des méthodes employées dans les pays à régime totalitaire, ou l'interrogatoire se mue automatiquement en "dictée".
La défense de l'accusée est ainsi complètement anihilée.
Ces méthodes datant du temps de l'inquisition tendent à disparaître de plus en plus, et espérons le, ne seront bientôt qu'un lointain souvenir pour tous les peuples vraiment démocratique.
L'angleterre, depuis longtemps, a abandonné ce système.
"L'Habeas Corpus" n'y est point lettre morte.
Il parait que pour laisser l'inculpé son libre arbitre complet il doit y avoir un verre d'eau a porté de sa main. Ainsi, aucune coercition, ni par la soif, ni par le sommeil, ou autre forme de pression, physique ou morale. L'erreur judiciaire est presque inexistante en Angleterre.
Nous n'avons pas ici suffisamment d'espace pour citer toutes les autres formes d'évasion des malheureux atteint par la maladie de l'esprit ; ces déments ont leurs leurs de génie et s'extériorisent aussi par d'autres moyens ; il y a des sculpteurs et de bons artisans, qui ont exposé de bizarres créations qu'il serait trop long de décrire ici. Espérons que parmis ces bons artistes il y en aura le plus possible de rendus, guéris, à leur milieu, à leurs familles.
L. S.





Paris-Montparnasse, février-Mars 1951, p. 4.

Illustration du billet : copyright Draco Semlich 2017.

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