Kobayashi et ses mots de rocaille

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Grâce à la traductrice Evelyne Lesigne-Audoly et aux éditions Yago, on avait pu lire en 2009 Le Bateau-usine, principal roman de l’écrivain et syndicaliste militant Takiji Kobayashi (1903-1933). Le livre était équipé d'une très belle couverture « au crabe », qui rappelait non pas les aventures de Tintin, mais l’âpreté de la vie des marins japonais exploités dans les mers froides situées entre Russie et Hokkaïdo sur des bateaux-usines de pure époque Capitalisme-sans-frein. C’est au tour des éditions Amsterdam de proposer un nouveau roman, Le Propriétaire absent, publié la même année que Le Bateau-usine (1929) par l'écrivain dont le destin s’acheva bientôt sous les coups de la police japonaise lors d'un interrogatoire — d’une séance de torture pour être exact.
Son instinct lui dictait-il d’agir vite ? Le prolétarien écrivait comme on milite : vite, fort, avec des intentions précises et selon des ressorts pensés. Tandis que Sosêki narrait la désolation de son Japon natal à travers les yeux d’un chat désabusé (Je suis un chat, 1905), Kobayashi allait rejoindre les rangs du parti communiste nippon (1933), porté par une volonté d’agir. Et il écrivait assurément en pédagogue, nommant les choses, désignant les processus économiques afin de former des militants nouveaux. En montrant l’enchaînement des faits, il explicitait pour tous les causes de la pauvreté des marins, des ouvriers et des paysans.
Dans Le Propriétaire absent, Kobayashi décrit donc comment le monde rural japonais découvre lui aussi le capitalisme, à travers la transformation des relations des paysans avec les propriétaires fonciers qui s’éloignent de la population rurale pour s’investir dans les activités industrielles et commerciales des grandes ville. Cette urbanisation/industrialisation leur fait naturellement perdre le contact avec la vie agricole et ils n’interprètent plus la vie rurale qu’à travers les fermages et les ponctions qu’ils font dans les récoltes. Le tout sous la surveillance de leurs propres intermédiaires peu favorables au partage des ressources (Yoshimoto, dit « Le serpent », en est ici l'illustration).
Kobayashi se sert d’un « paysage » pour asseoir son propos, celui de la colonisation de l’île d’Hokkaïdo dont l’occupation et, par conséquent le défrichage, est un enjeu géopolitique pour le Japon. Des populations y sont transplantées sur la foi d’astuces et de mensonges grossiers (gratuité des terrains défrichés, etc.) mais la nature n’est pas aussi sympathique que les promesses : les terres sont impropres à la culture sans des travaux de salubrité colossaux (non rémunérés), le climat est terrible, les récoltes sont moins bonnes qu’attendues, la faim se développe, des exercices militaires au milieu des champs ruines les maigres de promesse et mettent la pression sur ceux qui auraient des velléités de révolte, les esprits s’échauffent. Le cynisme des propriétaires pousse finalement les paysans à se rendre dans la grande ville où les ouvriers se joignent à eux, organisant des grèves qui ébranlent l'économie, mettant en péril l'équilibre somme toute précaire des capitalistes. Voilà sans doute pourquoi ce livre prend place dans la nouvelle collection « L’ordinaire du capitalisme » des éditions Amsterdam : Le Propriétaire absent est non seulement l’explication de l’apparition du capitalisme au Japon, c’est aussi le récit de la création du syndicalisme paysan, par un romancier pressé qui sait tresser un récit comme un journaliste de son temps : bref, vif, soudain, il use de ses « mots de rocaille » avec une efficacité remarquable.

Sortez des usines, sortez des champs, vous les écrivains de demain, avancez !




Takiji Kobayashi Le Propriétaire absent, traduit et postface par Mathieu Capel. — Paris, Amsterdam, 2017, 226 pages, 13 €



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