Maison vide sans Picasso

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Sans Picasso, Dora Maar a dû faire avec. Si l'on peut dire. Leur relation (fameuse) avait débuté en 1936. Après avoir été la maîtresse de Georges Bataille, Henriette Theodora Markovitch, dite Dora Maar, fut présentée au peintre par Paul Eluard aux Deux Magots. Leur relation prit fin en 1943. La photographe, fragile et de tempérament torturé, eut dû mal à s'en remettre, suscitant l'inquiétude de ses amis, lorsque se fit ressentir le besoin d'internement. Une analyse prit le pas sur la psychiatrie et Picasso, mal à l'aise sans doute, offrit en guise de cadeau de rupture à celle qui fut sa muse durant sept ans, une belle maison sise à Ménerbes. La photographe s'y installa dans une existence "pétrifiée", peignant, écrivant à quelques amis, côtoyant les jeunes Anne et Jérôme de Staël, résidant de Ménerbes eux-mêmes, dans le souvenir des visites de Braque, des Eluard, Man Ray, Crevel, Penrose, Lee Miller et de la smala surréaliste...

Plages sauvages et non surveillées, éclats de rire couverts par le grondement des rouleaux, ombres dures de juillet, peaux burinées et désirables, chapeaux de paille couvrant l'impudeur des corps, visages épanouis sous des voies lactées. De baignades en vernissages, d'apéritifs en parties de pétanque, de canisses fêlées en mauresques glacées. Et puis Kaazbek, le lévrier afghan, toujours dans l'ombre de leurs pas à quémander des zakouskis. Sept, huit années d'une fête foisonnante. La présence d'une famille de coeur, une farandole intemporelle de cadavres colorés.

Dora Maar disparut en juillet 1997 et la maison fut réhabilitée, non sans que Jérôme de Staël prenne la marque de ce lieu éteint, témoin d'une existence autrefois vive. Ses photographies mettent l'accent sur l'abandon des lieux, la déshérence du bâti, l'irrémédiable mélancolie qui émane de la demeure de cette princesse à la pierre dormante du Luberon.
Demeure sans Picasso, et désormais sans Dora Maar.
Le texte de Stéphan Lévy-Kuentz et le témoignage d'Anne de Staël la convoquent cependant très nettement. Selon deux modalités bien différentes. Le premier use de l'évocation poétique, magique un peu, et celle qui fut l'enfant du voisinage livre un portrait vécu et touchant. La muse enfuie est là à nouveau.



Stéphan Lévy-Kuentz Sans Picasso. Photographies de Jérôme de Staël. Postface d'Anne de Staël. - Paris, Manucius, 84 pages, 15 €


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