Les papiers du japon

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Les papiers du Japon

Le papier du Japon, aujourd'hui si apprécié ne fit son entrée en France que vers 1867. Quelques rames de ce papier, de diverses dimensions, figuraienti à l' Exposition Universelle.
Cependant l'introduction du papier du Japon en Europe remonte a la première moitié du dix-septième siècle. Rembrandt, le premier, se rendit compte de la valeur artistique des feuilles rapportées de Decima par un navigateur hollandais. Il imprimait lui-même et ne faisait l'emploi du précieux papier que fort parcimonieusement. Il le réservait pour les portraits de ses amis ou pour le tirage définitif de ses grands cuivres. Le papier était, à cette époque, de la plus rare perfection, lisse et ambré, épais, doux au toucher comme du satin il retenait l'encre dans les parties ombrées, faisait vibrer les reflets et donnait l'impression d'une caresse de soleil. Une des épreuves tirées par Rembrandt du "Jésus guérissant les malades" fut payée 10.000 francs en 1867 l'expert Clément par Théodore Rousseau.
Le Japon posséda toujours du papier. Les historiens japonais eux-mêmes ne peuvent fixer l'époque de sa découverte. La première relation que l'on trouve remonte à l'an 590 sous le règne du daïri Suiko. On apprend, en effet, qu'un bonze serait allé chercher en Corée des perfectionnements, car l'on sait qu'à cette époque le Japon avait déjà des livres. Au huitième siècle, le papier japonais était d'une délicatesse remarquable, malheureusement et pour cette raison la presque totalité des livres anciens du Japon est devenue la proie des vers. Les éditions que nous possédons ne remontent qu'aux dix-septième et dix-huitième Siècles. Les unes sont tirées sur un papier mince, luisant et résistant, les autres, au contraire, sont imprimées sur un papier fait d'une pâte moins sonore, plus spongieuse. Tels sont les beaux tirages du recueil les Cent Poètes et-les exemplaires en noir et en plusieurs tons du dessinateur Hokou-Saï.
Le papier du Japon est le produit d'un arbrisseau de la famille des artocarpées qui se reproduit par boutures. L'écorce seule est employée. Vers le mois de septembre, la plante atteint près d'un mètre, elle est coupée vers le milieu d'octobre, une partie restant en terre produit des rejets pour l'année suivante. D'abord lavée minutieusement et séchée, l'écorce est à nouveau trempée dons l'eau et grattée avec un couteau pour enlever l'épiderme qui sert à fabriquer les qualités inférieures. Ayant ainsi épuré la matière, on l'expose au soleil afin qu'elle prenne une teinte blanche caractéristique, après quoi on la fait bouillir dans de la lessive de cendres de sarrazin. Pour obtenir la teinte désirée, on mélange cette pâte une substance laiteuse préparée avec de la fleur de riz et une décoction de l'écorce du "hydrangea paniculata" et de la racine d'hibiscus.
La pâte ainsi apprêtée, l'ouvrier se servait alors d'un cadre de bambous, tapissé de fils de soie ou de chanvre, ce qui faisait de cet appareil une sorte de tamis, et le trempait dans la cuve. Il l'agitait ensuite dans tous les sens, afin que la matière se répandît uniformément. Une fois que celle-ci avait pris la consistance voulue, l'ouvrier mettait la feuille à sécher sur des planches et ensuite la lissait avec une brosse. Les dimensions des feuilles ainsi obtenues étaient des plus variables, car les Japonais n'employaient aucun des formats réguliers. Cette façon de procéder était en honneur avant l'ouverture des Manufactures impériales, et c'est vers 1878, après l'Exposition Universelle, que le Japon appliqua les formats en cours après que l'on eut insisté à ce sujet auprès de la commission impériale.
Une des applications les plus réussies du papier du Japon est celle qui lui donne l'apparence des vieux cuirs de Cordoue ou des Flandres. Il existe des merveilles du genre, mais elles sont fort rares. D'anciens nobles japonais ont donné des makémonos qui sont de véritables chefs-d'oeuvre en miniature, et Il existe des spécimens magnifiques d'impression en couleur que l'on nomme des "scrimonos".
De nos jours, le papier du Japon est passé dans nos goûts et dans nos habitudes. Toutefois il est bon de remarquer qu'il tient toujours la place d'honneur dans nos éditions de luxe et que c'est avec juste raison que nous lui rendons les ménagements qu'il réclame et les soins qu'il demande.

Fernand Mitton



Le Gaulois, 8 août 1923

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