Après l'Ordre du jour, la Question du jour : Eric Vuillard serait-il un plagiaire ?
On trouvait depuis quelque temps déjà que la littérature d'Eric Vuillard masquait mal un léger côté prof d'histoire-géo un peu pataud. Son récent prix Goncourt nous a poussé à la lecture pour vérifier si, depuis notre île, il y avait lieu de revoir notre position ou non.
Résultat : c'est non. Indéniablement. Toujours aussi pataud et sans style. Eric Vuillard fait de la littérature comme on mâchonne. Et il s'obstine dans sa mauvaise habitude de traîner son sabre de figures en figures de l'Histoire emboutissables en petits bouquins vite écrits.
Mais il y a pire.
En affinant un peu nos lectures, nous pouvons désormais annoncer que le plus récent de ses livres a été beaucoup trop vite écrit.
Forcément.
Et on va voir pourquoi.
(Les passages à la ligne non subventionnés par la publicité sont destinés à faire monter le suspens).
C'est en découvrant le meilleur chapitre de son petit livre, "Les morts", qu'on a été pris d'un (énorme) soupçon.
On sent d'abord une différence toute nette de volubilité. Pour dire les choses comme ça. Eric Vuillard paraît tout à coup plein de savoir et fait preuve d'une pensée qui s'organise comme il ne nous y avait pas habitué. Tout à coup, l'ânonneur s'autorise l'emballée.
Grands dieux !
Aurait-il pris des substances ?
On est perplexe puisqu'on a lu un peu plus tôt des phrases brillantes comme celle qui suit :
"c'est alors qu'un minuscule grain de sable se glissa dans la formidable machine de guerre allemande"
Et, de fait, un gros morceau de granit s'écroula sur la caboche du romancier désinvolte... quand il s'agit de rendre à César ce qui n'appartient pas à Vuillard.
Démonstration : en réalité ce chapitre qui se fait remarquer dans le fil terne de sa prosodie vient tout droit du volume collectif intitulé "L'Anschluss, une affaire européenne" dirigé par Felix Kriessler (Presses universitaires de Rouen, 1991) et en particulier du chapitre d'Eckart Früh, "Terreur et suicide à Vienne après l'annexion de l'Autriche".
La comparaison est proprement sidérante : faits, anecdotes (Benjamin en particulier), raisonnement, et même conclusion, tout est très (très) similaire ou ostensiblement retravaillé pour masquer la source, à un point que l'on se demande si un juge ne revêtirait pas carrément ça du nom de plagiat ou bien de parasitisme ? Nous laissons les héritiers de M. Früh, les presses universitaires de Rouen, leurs avocats et les éditeurs de Vuillard en juger (1).
La question qui nous intéresse est celle-ci : Eric Vuillard rétrocèdera-t-il la quote-part de ces gains pour ce chapitre aux héritiers de l'auteur de l'article ?
Ce serait élégant.
(1) Ajout du 4 février : Une âme dévouée à la juste répartition des éloges nous communique les pièces à conviction :
L'essentiel se trouve pages 92 (quatre suicides) et 93 (vous apprécierez la forme de la conclusion de Vuillard) et dans les notes de bas de page, page 94, la note 25 sur Benjamin.
CQFD et ite missa est.
1 De caboteur -
Bonjour Préfet. Pas lu Vuillard ni « L'Anschluss... ». Mais il me semble qu'en droit français, le plagiat ne s'applique qu'à la forme et non au fond. Autrement dit, pour qu'un juge s'en prenne à Vuillard, il faudrait qu'il démontre que le susnommé a recopié les phrases telles quelles depuis « L'Anschluss... » Sinon, les tribunaux ne chômeraient pas... Un certain Hugo, avec « Notre-Dame de Paris » avait déjà été accusé, dans une jolie formule, « d'abuser de sa documentation ».
2 De Le Préfet maritime -
C'est toute la question, cher caboteur. Je vous invite à consulter le chapitre et l'article, c'est une expérience qui mérite qu'on la tente, je vous assure.
Vous jugerez par vous-même.
Je crois savoir que la reprise d'une logique narrative, d'éléments factuels, d'une note de bas de page et du fil d'une pensée dans une seule et même pièce textuelle constitue un faisceau tel que la justice parvient à trancher.
A suivre donc.
3 De caboteur -
Il y a quelques exemples qui vont dans mon sens : un écrivain que nous admirons tous les deux (BHL, hi hi hi !) avait été relaxé dans le procès que lui avait intenté Marie-France Barrier encore qu'il eût grossièrement démarqué l'intrigue.
Pareil dans l'affaire Sagan/Hougron où en deuxième instance Hougron avait été débouté.
En revanche, dans ton sens, je crois que Régine Desforges qui avait copié l'intrigue de Margaret Mitchell avait été condamnée.
Si Vuillard n'a pompé qu'un chapitre et seulement pour l'inspiration, je pense qu'il s'en tirera.
4 De Le Préfet maritime -
Je ne suis ni avocat spécialisé ni juge. Et je ne fais pas l'histoire du plagiat. Je constate seulement que ce monsieur s'est permis de pomper la moëlle du travail d'autrui (sans aucune mention) pour construire un morceau essentiel de son petit roman, point barre.
Son geste est à la fois malhonnête (les chercheurs ne lui doivent rien) et pitoyablement con (comment peut-il imaginer que personne ne s'en aperçoive ?)
J'en tire les déductions qui s'imposent : il doit être lui même fort niais, fort creux et en manque d'imagination, comme le montrent généralement ses sujets, pour ne pas dire créativement impuissant.
Sa libido ne m'intéresse pas, non plus que son business plan. Il fait ce qu'il veut, mais il dit merci quand il emprunte. Point.
PS : pour la petite histoire la plupart ("plupart" j'ai écrit) des plagiaires sont très souvent de tristes hères infertiles. Tu as déjà donné quelques noms assez vulgaires, tu en veux d'autres ?
5 De caboteur -
Y a aussi Minc et sa bio de Spinoza... Poivre d'Arvor... Attali... Ardisson...
Mais quelquefois de grands noms cèdent à la fatigue ou à la facilité. Cf. le « Dictionnaire des plagiaires » de mon ami Roland de Chaudenay.
Quant à Vuillard, nous ne nous presserons pas de le lire vu tes recommandations.